mercredi 31 décembre 2014

Sous le signe du rasoir, de Jim Nisbet


Ecrit dans les années 90, ce roman très noir n'a rien perdu de son actualité. A travers le portrait de Mark Paulos, dit Pauley, Nisbet parle de cette Amérique qui travaille dur mais a du mal à boucler les fins de mois, qui vit dans des studios insalubres sous les toits mal isolés, et qui s'abrutit de programmes télévisés affligeants.. Nisbet critique à sa manière singulière une nation dont l'ascenseur social est tombé en panne, car si on commence mal dans la vie, et si on n'a pas trop de chance, comme c'est le cas de l'anti-héros de ce livre, et bien on a du mal à s'en sortir, à progresser. Vrai ? Faux ? En tout cas, c'est discutable. Sous le signe du rasoir est donc une histoire franchement noire, mais non dénuée d'un certain humour distancié. 


Je trouve quand même la fin d'une ironie hallucinante, voire perverse de la part de l'auteur, et on ne peut qu'éprouver une profonde empathie envers ce pauvre Pauley, dont la vie n'aura été qu'un triste scénario.

Comme d'habitude, l'écriture de Nisbet est dense, chaque phrase véhicule une quantité stupéfiante d'informations, permettant une description clinique des passages importants du récit - par exemple, lorsque le père de Pauley s'électrocute en voulant changer l'ampoule de la salle de bains. Les personnages sont fouillés, et la question de l'identité sexuelle, notamment chez le tueur dans ce roman, est encore une fois présente, une constante chez Nisbet. A lire rien que pour l'émotion que provoque le dénouement final !

Jim Nisbet, Sous le signe du rasoir, Rivages, 368 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Freddy Michalski, sorti en 1997 (Etats-Unis et France)

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mardi 30 décembre 2014

Tarot, de William Bayer


Les polars de William Bayer sont toujours placés sous le signe de l'originalité et de la découverte d'un univers précis: la fauconnerie dans Pélerin, la magie dans Mort d'un magicien, la photographie dans Hors Champ, le tango dans La ville des couteaux; Avec souvent en toile de fond la traque d'un redoutable serial killer. Et ici bien sûr c'est le jeu du tarot qui est à l'honneur. William Bayer possède plus de quatre cent jeux de tarot, l'auteur passionné sait donc de quoi il parle, son récit est d'ailleurs très bien documenté, avec juste ce qu'il faut d'explications techniques, sans jamais tomber dans le barbant. L'auteur construit une intrigue parfaitement ficelée autour de l'univers du tarot, et plus globalement du satanisme et de la sorcellerie. 

L'atmosphère très noire de ce thriller sanglant fait clairement penser au film de Polanski La neuvième porte avec Johnny Depp. 

Dans une église de campagne isolée, un homme nu est découvert suspendu par un pied à la traverse de la grande croix de bois dressée derrière l'autel; Sur le dallage, un pentacle a été tracé avec le sang de la victime; Crime sataniste ? Ou simple mise en scène ? Le chasseur de satanistes Cap connaît déjà la réponse, et va se lancer dans une traque sans merci. Ecriture envoûtante, intrigue captivante, aucun temps mort, et surtout un final apocalyptique: du grand art tout simplement !

William Bayer, Tarot, Rivages, 400 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Gérard De Chergé, sorti en 2001 (Etats-Unis et France)

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lundi 29 décembre 2014

Nocturne pour instruments divers, de Laurent Fétis


Juillet 2011, j'étais entré dans ma librairie préférée afin d'acheter le dernier Nick Stone, quand mon œil fut attiré par la couverture de Nocturne pour instruments divers; Un graphisme accrocheur à la Enki Bilal. Le résumé prometteur suivi d'un commentaire enthousiaste du spécialiste incontesté du polar Claude Mesplède ont achevé de me convaincre de repartir avec ce serial killer thriller. Bien m'en a pris. Je vous avertis tout de suite, il faut avoir l'estomac bien accroché pour lire ce thriller ultra-violent, qui flirte allègrement avec le fantastique, domaine de prédilection de ce jeune auteur peu connu. Certains passages sont très très crus, à la limite du supportable, pires que le plus sanglant des thrillers de Maxime Chattam, c'est vous dire le niveau. 

Nocturne pour instruments divers est un vrai thriller, qui fait peur, qui procure des émotions fortes. Un livre troublant, voire dérangeant par certains côtés, notamment son atmosphère très sombre, très perturbante. 

Vous qui entrez dans le Nocturne, laissez toute espérance ! Plus qu'un livre, c'est une expérience (éprouvante), c'est "l'irréalité au cœur de l'hyper réel", une plongée terrifiante et sans retour possible dans les bas-fonds de New York, c'est un peu comme si Enki Bilal avait réalisé un remake halluciné du film 8 mm avec Nicolas Cage. Une fois le livre terminé, les mots de Laurent Fétis vous hanteront encore longtemps, je vous conseille donc vivement d'enchaîner directement avec un Carl Hiaasen, ou un Nadine Monfils. Votre équilibre psychologique vous dira merci ! 

Laurent Fétis, Nocturne pour instruments divers, Asgard, 449 pages, sorti en 2011.

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Le Signal, Maxime Chattam 

jeudi 18 décembre 2014

Presse-people, de Carl Hiaasen


La Floride a accouché de deux auteurs de polars déjantés absolument géniaux: Tim Dorsey, et Carl Hiaasen. Ces deux écrivains à l'imagination tordue et au style d'écriture assez similaire produisent des satires corrosives de la Floride, par contre chez Carl Hiaasen la dimension écologique est bien plus présente. L'auteur dénonce les promoteurs véreux qui saccagent sans vergogne les paysages et l'habitat naturel de la Floride. Autant vous dire qu'il ne fait pas bon être promoteur immobilier dans les romans de ce défenseur de la nature. Il leur arrive toujours quelque chose de très désagréable, et croyez-moi Presse-people ne fait pas exception à la règle, bien au contraire. Dans ce feu d'artifice d'action et d'humour grinçant, l'auteur s'attaque également au show-biz. 


Tout le monde en prend pour son grade: la jeune starlette sans talent accro à la drogue, les parents vénaux qui exploitent sans vergogne sa célébrité en lui piquant tout son pognon, le paparazzi sans foi ni loi, le garde du corps défiguré et un brin psychopathe... et plein d'autres personnages complètement dingues qui complètent une intrigue échevelée pleine de situations cocasses. A déguster sans modération, Presse-people est le roman le plus hilarant et le plus abouti de Carl Hiaasen. Si vous avez envie de rigoler un bon coup, lisez ce polar humoristique, vous passerez un très bon moment !

Carl Hiaasen, Presse-people, 10/18, 496 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Yves Sarda, sorti en 2010 (Etats-Unis) 2012 (France)

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mardi 16 décembre 2014

Delicious, de Mark Haskell Smith


Hawaï: le soleil, l'océan pacifique, les palmiers, des plages immenses pleines de surfeurs, les jolies filles qui vous accueillent avec des colliers de fleurs, bref le paradis sur terre. Mais revisité par l'excellent écrivain Mark Haskell Smith, le mythe part vite en cacahuète, c'est plutôt le paradis hawaïen version destroy qui nous est présenté dans ce polar décalé, complètement fou et génial. Second roman de ce conteur-né, Delicious est encore plus drôle que A bras raccourci; On y retrouve une galerie de personnages tous plus déjantés les uns que les autres, dont les destins s'enchevêtrent allègrement, le tout formant des intrigues à tiroir sacrément rafraîchissantes: un cuisinier, un obsédé sexuel, une boudhiste, un gentil maquereau, de vrais tueurs à gage très très méchants. 

Et aussi des tueurs à gage amateurs qui roulent dans une voiture Barbie ! Et à la baguette, un auteur en pleine forme qui fait preuve d'une inventivité vertigineuse. 

Delicious séduit par l'écriture pleine de vitalité de Mark Haskell Smith, et par son humour grinçant, féroce, très politiquement incorrect; Car derrière le côté déjanté, l'auteur critique de manière subtile l'American Way of Life et ses excès, et manifeste une grande empathie envers la culture traditionnelle d'Hawaï, menacée par la modernité occidentale. Une totale réussite !

Mark Haskell Smith, Delicious, Rivages, 352 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Benjamin et Julien Guérif, sorti en 2005 (Etats-Unis) 2007 (France)

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dimanche 14 décembre 2014

Sale temps pour le pays, de Michaël Mention


L'Angleterre de la fin des Seventies est en proie au chaos social et à la dépression: grèves, usines qui ferment leurs portes, multiplication des actes racistes combinés à la montée du National Front, et puis dans le nord du pays, un tueur en série, surnommé par les médias l'éventreur du Yorkshire, qui s'en prend à des femmes, essentiellement des prostituées. Michaël Mention raconte de manière purement fictive la traque de ce psychopathe, sans jamais tomber dans la facilité, et signe un très bon polar d'atmosphère, très bien écrit, dans un style très moderne.

S'appuyant également sur un fond documentaire solide, ce jeune auteur très talentueux revisite toute une époque, et dresse le fidèle portrait d'un pays au bord de la rupture, marqué par l'arrivée d'une certaine ... Margaret Thatcher au pouvoir !

Premier volet d'une trilogie consacrée au côté obscur de l'Angleterre, Sale temps pour le pays porte la marque d'un jeune écrivain de talent: des chapitres courts, un récit très fluide sans temps mort, pas d'explications historiques pompeuses; Michaël Mention a su trouver le juste équilibre entre chronique historique et suspense psychologique. C'est très prometteur pour la suite.

Michaël Mention, Sale temps pour le pays, Rivages, 272 pages, sorti en 2012.

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... Et justice pour tous ; Le carnaval des hyènes ; Manhattan Chaos ; Bienvenue à Cotton's Warwick ; Power ; Les Gentils

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mercredi 10 décembre 2014

Haka, de Caryl Férey


Le capitaine Jack Fitzgerald de la police d'Auckland, Nouvelle-Zélande, est une des plus belles créations du roman policier: une sorte d'inspecteur Harry tenace, violent, dont les méthodes ne plaisent pas vraiment à ses supérieurs; Mais surtout un homme malheureux, brisé, tourmenté, obsédé par sa femme et sa fille mystérieusement disparues il y a vingt-cinq ans de cela; Jack garde toujours l'espoir de les retrouver un jour, c'est ce qui le fait tenir, tant bien que mal. Secondé par la jeune criminologiste Ann Waitura, le capitaine va enquêter sur le meurtre sanglant d'une jeune fille, et découvrir, au fil des cadavres qui s'accumulent, une effroyable vérité.

Dès les toutes premières pages, cette enquête étouffante vous prend à la gorge, vous sentez tout de suite que vous avez entre les mains un thriller puissant pas comme les autres: une écriture sauvage, des dialogues percutants, une intrigue très bien ficelée, et surtout un final chaotique, époustouflant. Un dénouement inoubliable qui atteint des sommets d'intensité dramatiques rarement atteints dans le polar. C'est du très grand art !

Avec Haka, l'un de ses premiers romans, Caryl Férey démontrait déjà toute l'étendue de son immense talent pour raconter des histoires criminelles palpitantes, pour tisser des intrigues diaboliques, et donner vie à des personnages paumés, tourmentés mais également hors-norme, pétris d'humanité. Une totale réussite, et un talent pur d'écrivain confirmé par les monumentaux Zulu et Mapuche (mon préféré).

Caryl Férey, Haka, Folio, 448 pages, sorti en 1998.

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vendredi 5 décembre 2014

Le petit bleu de la côte Ouest, de Jean-Patrick Manchette


Le premier mot qui me vient à l'esprit pour définir le très regretté Jean-Patrick Manchette, c'est précurseur. Traducteur, journaliste, critique littéraire, scénariste, ce touche-à-tout a créé dans les années 70 le néo-polar, ou roman noir à la française; En 1993, il définira le bon roman noir comme "un roman de critique sociale, qui prend pour anecdotes des histoires de crimes". Autrement dit, Manchette profite de ses histoires criminelles pour porter un regard acéré et critique sur son époque. Ces romans sont donc toujours aussi surprenants qu'intelligents !

Le petit bleu de la côte Ouest entre clairement dans ce schéma, et raconte les aventures d'un cadre commercial lambda, qui se retrouve embarqué bien malgré lui dans une sombre histoire de gangsters. 

Comme à chaque fois, c'est tendu, c'est bien écrit, c'est bien mené, ça va à l'essentiel; pas de gras, pas de temps mort, ce court récit, jalonné de références au jazz West Coast, se lit d'une traite. On retrouve vraiment tout ce qui fait le charme des romans noirs de l'auteur.

Ecrit en 1976, en plein septennat giscardien, Le petit bleu de la côte Ouest aborde subtilement, implicitement, le malaise des cadres dans une société qui se libéralise de plus en plus; Pour moi, cela reste le chef d'oeuvre d'un auteur qui aura marqué à tout jamais de son empreinte le polar, par l'atmosphère inimitable de ses romans. 

Jean-Patrick Manchette, Le petit bleu de la côte Ouest, Folio, 196 pages, sorti en 1976.

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