mardi 30 juin 2015

Un dernier verre avant la guerre, de Dennis Lehane


Un dernier verre avant la guerre est la première enquête du duo mythique Kenzie-Gennaro, et cela reste à ce jour mon préféré devant le terrifiant Ténèbres prenez-moi la main, et le troublant Gone baby gone. Patrick Kenzie, toujours prisonnier du fantôme d'un père despotique et violent, et Angela Gennaro, victime d'un mari aigri et violent: deux écorchés vifs, à qui la vie ne fait pas de cadeau, qui mènent leurs enquêtes dans un Boston crépusculaire au bord de l'implosion sociale, LA ville de Dennis Lehane. Sur le fond, ce thriller engagé est un magistral roman noir qui dénonce le racisme, la maltraitance infantile, et l'hypocrisie politique. Un roman dérangeant qui a le mérite de poser les questions qui fâchent, sans tomber dans la facilité. 


La description de Boston fait froid dans le dos, l'auteur fait parfaitement ressortir les inégalités sociales omniprésentes dans une grande ville américaine. Les riches vivent dans l'opulence la plus totale, tandis qu'à deux pas de chez eux, c'est le tiers-monde: misère, crack, et guerre des gangs. Et tant que les balles meurtrières ne traversent pas les beaux quartiers, les politiques n'agissent pas. 

Sur la forme, Dennis Lehane s'affirme déjà comme un meneur d'intrigue hors pair, capable de vous embarquer dès la première page, et d'imprimer à son récit une tension dramatique de tous les instants. Tout y est: enquête subtile, action, dialogues percutants, réflexion, et émotions fortes. Et on s'attache tout de suite à ces deux détectives de choc qui semblent tellement vrais qu'on a l'impression qu'ils vont, à tout moment, sortir du livre. 

Bien sûr le romanesque est présent, notamment dans les rapports "ambigus" entre nos deux détectives. Et même si l'intrigue est franchement noire, l'humour est toujours présent aussi, ce qui permet un peu de dédramatiser l'ensemble. Car certains passages du livre sont franchement durs, tendus, l'auteur n'occulte en rien la réalité d'une ville qui n'a toujours pas résolu ses problèmes sociaux. 

Dennis Lehane, Un dernier verre avant la guerre, Rivages, 368 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Mona De Pracontal, sorti en 1994 (Etats-Unis) 1999 (France)

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mardi 23 juin 2015

La mémoire courte, de Louis-Ferdinand Despreez


Je viens de terminer ce roman coup de poing, très noir, totalement décoiffant qui m'a retourné les tripes. Une véritable bombe littéraire qui renverse tout sur son passage. Le personnage principal est un flic noir tenace, et surtout incorruptible, ce qui est vachement rare en Afrique du Sud, à en croire l’auteur. L’inspecteur Zondi enquête sur une série de meurtres qui ne frappent que des hommes noirs très athlétiques. L’oeuvre d’un tueur en série raciste, à la Dylan Roof, qui regrette “le bon vieux temps de l’apartheid” ? Le pauvre inspecteur n’est pas au bout de ses peines, d’autant que découvrir la vérité dans un pays fragile, en pleine mutation, ce n’est pas de la tarte. Au programme, racisme persistant, magouilles politiques, organisations extrémistes, misère et vaudou: un cocktail détonnant pour le premier roman très épicé, et riche en émotions fortes, de Louis-Ferdinand Despreez, citoyen sud-africain qui écrit ses livres dans la langue de Molière. Et cet auteur raconte son histoire criminelle comme un type qui entrerait dans un bar et défoncerait la porte à coups de batte de Baseball. Un style musclé donc, alerte, frontal. L’auteur nous interpelle vraiment par une description crue et sans concession de son pays, où le spectre de l’apartheid est en fait toujours présent. 

L’auteur réussit à combiner avec brio enquête criminelle pleine de rebondissements, et chronique sociopolitique de son pays. Et le propos n’est pas édulcoré, l’auteur ne nous épargne rien, et dévoile tout un pan peu glorieux de la situation passée et présente de son pays, car il semblerait que beaucoup de gens en Afrique du Sud aient la mémoire courte ! 

Beaucoup préfèrent oublier les atrocités commises pendant l’apartheid, cette politique terrifiante de ségrégation raciale qui aura maintenu des millions d’africains dans une terreur de tous les instants. Une plongée saisissante dans les coulisses d'un pays loin, très loin d’avoir réglé tous ses problèmes. 

Louis-Ferdinand Despreez, La mémoire courte, Points, 256 pages, auteur sud-africain, mais qui écrit en français, sorti en 2006 en France.

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lundi 15 juin 2015

Des gens bien, de Marcus Sakey


"C'était ça la vie. On croyait comprendre les choses, savoir faire la différence entre le bien et le mal, et puis, soudain, il se passait une chose qui redéfinissait complètement notre échelle de valeurs." La chose en question c'est la découverte accidentelle de 400 000 dollars en billets usagés chez votre locataire, décédé d'une crise cardiaque. Que faites-vous ? Soit Vous remettez l'argent à la police, car vous vous dites que ça sent mauvais. Soit vous gardez cet argent, parce que, bordel, c'est pas tous les jours qu'on tombe sur une telle somme. Tom et Anna Reed, jeune couple représentant la classe moyenne américaine, ont choisi de garder l'argent. Ils n'auraient pas dû...




Si vous cherchez un suspense à emporter à la plage, un fast book vite lu et sans prise de tête, un furieux page turner palpitant, mené avec une dextérité hors du commun, un thriller calibré comme seuls les américains savent les écrire, Des gens bien est pour vous. Une intrigue rondement ficelée, sans temps mort, qui va à cent à l'heure. Une tension et un suspense qui ne faiblissent jamais, un couple attachant auquel on s'identifie. Bref, un thriller d'une redoutable efficacité.

Mais même si le but premier de ce polar est de divertir le lecteur, j'y ai vu également une réflexion sur la vie, notamment sur la question des choix qui jalonnent l'existence de chaque individu. L'auteur n'est pas entré dans le jugement facile du style "ce n'est pas bien d'avoir gardé cet argent", non, car si la situation se présentait, que ferions-nous ? on a beau se dire qu'on est des gens bien, avec des principes, des valeurs, on ne peut pas prédire à l'avance nos réactions. Parce que même si l'argent ne fait pas le bonheur, dans nos sociétés occidentales, il y contribue beaucoup. Alors, si vous trouvez un jour 400 000 dollars en liquide, que ferez-vous? Une chose est certaine, une fois que le choix est fait, il faut l'assumer jusqu'au bout, quel qu’en soit la contrepartie. Car il y a toujours une contrepartie. Et dans ce roman, qui ne laisse aucun répit au lecteur, la contrepartie est énorme !!

Marcus Sakey, Des gens bien, Pocket, 377 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Séverine Quelet, sorti en 2008 (Etats-Unis) 2009 (France)

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mardi 9 juin 2015

911, de Shannon Burke


"Vous n'aurez bientôt pour seul paysage que celui des quartiers insalubres, les exclus, les sans-abri, les fous, les toxicomanes, les malades, les mourants et les morts... Vous serez témoins de toutes les saloperies qu'on cache à la majeure partie de la population. Vous en ferez partie. Et viendra un moment où, par impuissance, par désespoir, par colère, vous serez tenté de céder à toute cette misère et toute cette laideur." Oui, car s'il faut retenir une chose de ce roman noir coup de poing, c'est qu'il n'existe aucune formation qui prépare à ce que les êtres humains sont capables de s'infliger. Ce court récit poignant, écrit dans un style pur, viscéral, raconte l'histoire d'Oliver Cross, jeune étudiant en médecine travaillant comme ambulancier de nuit dans le quartier le plus dangereux de New York: Harlem, au début des années 90. 

Une expérience éprouvante dont il ne sortira pas indemne. 911 est avant tout une histoire d'hommes, d'amitiés mais aussi de rivalités dans un monde sans pitié. 

L'auteur, ancien ambulancier, dépeint donc avec réalisme le travail de ces hommes qui peuvent si facilement basculer dans la folie, et la haine de l'autre. Car la frontière entre le bien et le mal est ténue dans un univers de misère et de violence, un quotidien infernal. Il faut avoir les nerfs solides, et un équilibre psychologique sans faille pour exercer le métier d'ambulancier dans ce quartier pourri, abandonné par les pouvoirs publics. 

911 est donc un récit d'une profonde humanité, qui dégage une puissance affective rare. L'auteur écrit tellement bien qu'on a l'impression de partager entièrement le quotidien de ces hommes. D'être à leurs côtés, de ressentir ce qu'ils vivent. Certaines scènes sont choquantes, l'auteur ne nous épargne rien. pas de surenchère non plus, juste la réalité implacable, et une histoire passionnante, mais franchement noire. 

Shannon Burke, 911, Sonatine, 208 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Diniz Galhos, sorti en 2008 (Etats-Unis) 2014 (France)

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Un jambon calibre 45, de Carlos Salem


Caliente caliente ! Il fait chaud dans les rues de Madrid, au sens propre comme au sens figuré. Un jambon calibre 45 est un mélange détonnant de sensualité toute latino et d’humour noir, décalé. Carlos Salem, auteur argentin installé en Espagne, s’affirme comme le maître latino du polar déjanté, aux antipodes des thrillers calibrés à multiples rebondissements. Ici le maître mot c'est: absurde. Sur le fond, ce roman atypique raconte les mésaventures de Nicolàs Sotanovsky, un jeune argentin fraîchement débarqué en Espagne qui va se retrouver embarqué, bien malgré lui, dans une histoire trouble de gangsters et de femmes fatales. L’intrigue policière importe peu, ce sont surtout les personnages qui sont au centre de cette histoire. Avec une forte dose d’érotisme. Car notre anti-héros est littéralement cerné par de véritables bombes sexuelles qui s’arrachent sa vertu !

Sur la forme, l’univers de Carlos Salem me fait penser à celui de Kinky Friedman: le style d’écriture est souvent métaphorique, imagé, avec un soupçon de mélancolie désabusée. A l’instar de Kinky Friedman, l’anti-héros se pose des questions sur sa vie en particulier, et sur l’existence en général. Certains passages sont même carrément poétiques, mais la constance c’est l’humour, un humour absurde souvent très cru qui tranche avec le côté poétique. Sans parler des scènes érotiques !  Cela donne au final un roman “chaud” d’une formidable originalité, truffé de situations cocasses. Une formidable surprise, une symbiose réussie entre roman noir et polar absurde !

Carlos Salem, Un jambon calibre 45, Babel, 352 pages, traduit de l'espagnol par Claude Bleton, sorti en 2011 (Espagne) 2013 (France)

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