mercredi 25 novembre 2015

L'honorable société, de Manotti - DOA


Quand les deux maîtres actuels du thriller politique se réunissent, il y a peu de chances que cela donne un mauvais roman, bien au contraire. Ce polar engagé écrit à quatre mains est un sacré pavé dans la mare parfois bien nauséabonde du système politique français, ou plutôt du système politico-industriel. Car s'il y en a qui doutaient encore de l'existence de liens très étroits entre pouvoir et business, CAC 40 etc..., et bien ils n'en auront plus après avoir lu cet implacable thriller. Pas de théorie du complot fumeuse, cette histoire sent la bonne vieille magouille politique made in France !

Sur le fond, L'honorable société est une oeuvre haletante, où les destins de personnages plus vrais que nature s'enchevêtrent: un officier de police rattaché au Commissariat à l'énergie atomique qui trouve la mort dans des circonstances douteuses. Des coupables rapidement désignés, à savoir de jeunes militants écologistes. Un ancien journaliste qui va se démener pour sauver sa fille, et des puissants prêts à tout pour étouffer un scandale et qui envoient des barbouzes très très méchants faire le ménage. Faut dire que l'action du roman se déroule entre les deux tours d'une élection présidentielle. Alors tous les coups sont permis forcément ! 

Sur la forme, les deux auteurs ont su trouver l'équilibre parfait entre intrigue romanesque et réalité politique. Captiver le lecteur tout en racontant un récit crédible, qui n'occulte pas la réalité de ce qui se passe dans les arcanes du pouvoir. Car oui, on n'est pas dans le monde des bisounours, des gens sont prêts à tuer, ou plutôt à faire tuer pour sauvegarder leurs propres intérêts.

C'est donc un thriller impitoyable, tendu, bien mené, que nous livrent ces deux auteurs. Le style d'écriture est hyper rythmé, et taillé au couteau, à l'image du propos. Un style fait de phrases courtes assénées comme des uppercuts. Grand prix de littérature policière 2011. 

Dominique Manotti et DOA, L'honorable société, Folio, 384 pages, sorti en 2011.

Je vous conseille aussi:
Storyteller, James Siegel
Guerre sale, Dominique Sylvain
L'ange gardien, Jérôme Leroy
Unité 8200, Dov Alfon
Le carnaval des hyènes, Michaël Mention 

jeudi 19 novembre 2015

Faute de preuves, d'Harlan Coben


Harlan Coben écrit comme il respire, c'est un écrivain très prolifique qui ne manque pas d'imagination, et ce qui est bluffant chez ce grand bonhomme, c'est qu'il parvient à maintenir une grande qualité au niveau de ses productions. J'ai dû lire une quinzaine de thrillers de l'auteur, et j'ai rarement été déçu. Le style d'écriture est toujours fluide, alerte, les dialogues sont percutants et truculents, Coben a une gouaille inimitable qui donne beaucoup de charmes à ses polars. Ses personnages sont attachants, et ils semblent tellement vrais qu'on a l'impression qu'ils vont sortir du livre à tout moment. Pour moi Coben est le chef de file de ce que j'appelle le fast and furious book, c'est du page turner palpitant, plein de suspense et de rebondissements, du thriller vite lu et vite oublié. 

Rien de péjoratif dans cette description, il faut du talent et beaucoup d'imagination pour écrire ce type de roman, et Harlan Coben est le meilleur dans ce registre, avec Lisa Gardner, Linwood Barclay, ou côté français Michel Bussi et Bernard Minier. 

Faute de preuves réunit tous les ingrédients du thriller captivant qu'on ne lâche pas: une adolescente qui disparaît, un prédateur sexuel soupçonné de meurtre qui disparaît à son tour, une journaliste chevronnée qui va enquêter sur le passé de ce prédateur, dévoilant ainsi une terrifiante machination, et une atmosphère qui sent la poudre et l'atmosphère viciée d'une petite bourgade américaine. Comme d'habitude, tout est subtilement et efficacement contrôlé de la part de l'auteur, qui s'amuse à faire monter notre palpitant au fur et à mesure qu'apparaît l'incroyable vérité. C'est du thriller sympa, bien mené, bien écrit. Un excellent cru, même si à ce jour, mon préféré reste de très loin Disparu à jamais. 


Enfin, au travers de l'intrigue, Harlan Coben aborde des thèmes universels tels que la culpabilité et le pardon, et surtout un sujet très actuel: l'e-réputation, ou web-réputation. Ou comment votre vie peut devenir un enfer, si quelqu'un vous en veut et décide de vous détruire en ruinant votre image sur le Web. Quitte à colporter de fausses informations sur vous. Les conséquences peuvent être dramatiques, parce que tout le monde croit, souvent à tort, au fameux dicton: "il n'y a pas de fumée sans feu!". Dans Faute de preuves, Coben a imaginé le pire scénario possible, et la mise en situation décrite est saisissante, effrayante. Tout va très (trop) vite de nos jours !

Harlan Coben, Faute de preuves, Pocket, 480 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Roxane Azimi, sorti en 2010 (Etats-Unis et France)

Du même auteur sur ce blog:

Disparu à jamais
A découvert

Je vous conseille aussi:
La maison d'à côté, Lisa Gardner
Le cercle, Bernard Minier
La Disparition de Stephanie Mailer, Joël Dicker
Seul à savoir, Patrick Bauwen

lundi 16 novembre 2015

Thérapie de choc pour bébé mutant, de Jerry Stahl


Entrez dans l'univers franchement secoué de Stahl, et le vôtre se mettra à tourner autrement. Lire ce roman noir décalé, c'est vivre une expérience troublante, parfois éprouvante, mais surtout singulière à plus d'un titre. En effet, résumer un roman de Jerry Stahl est une gageure tant cet auteur échappe complètement aux codes du genre policier. Ici, on est clairement hors des sentiers battus, il n'y a d'ailleurs pas vraiment de repères dans ce livre, puisque l'histoire est racontée par un loser accroc à l'héroïne ! 

Ce roman reflète la psychologie et surtout la connerie du personnage. Un voyage à bord du cerveau sérieusement atteint de Lloyd, écrivain raté et surtout junkie. Car il y a longtemps que le capitaine a quitté le navire, qui dérive dans la quatrième dimension. C'est aussi et surtout une certaine vision de l'Amérique que nous livre Jerry Stahl à travers les déboires de son anti-héros. Une vision pas franchement optimiste, il faut bien l'avouer. Une nation qui sacrifie tout sur l'autel de l'entertainment et du profit, au détriment de l'humain.

Thérapie de choc pour bébé mutant raconte l'existence à la fois effrayante et délirante de Lloyd, une vie faite de mauvaises rencontres: rencontre avec la drogue dure, "le genre de défonce qui s'accompagnait d'un sifflement douloureux dans les oreilles. Vous étiez à moitié conscient que vous vous infligiez des dommages cérébraux, mais c'était tellement bon que vous vous disiez que ça valait le coup, du moment qu'il vous restait suffisamment de cerveau pour sentir la came qui vous causait ces dommages".


Rencontre avec Nora, "ma schizoïde nue, passionnée, ma beauté délirante, mon aspirante martyre, complètement folle et affolante". Sa muse fatale qui va l'entraîner dans un projet terrifiant. La narration à la première personne permet au lecteur de s'immerger totalement dans les délires de Lloyd. Et le style d'écriture de Jerry Stahl, sophistiqué et truffé de références culturelles américaines, retranscrit parfaitement les humeurs très changeantes d'un junkie, et le rapport que celui-ci entretient avec le monde. 


Mais au final, Lloyd, malgré son côté déjanté, reste lucide sur sa triste condition de junkie, cette phrase résume bien sa vie: ".., si vous voulez avoir une meilleure estime de vous, commencez par faire des choses estimables. Et vice-versa. Pour le meilleur ou pour le pire, beaucoup d'entre nous étaient beaucoup plus familiers du vice que du versa". Un roman à la fois délirant, provocateur, et philosophique.

Jerry Stahl, Thérapie de choc pour bébé mutant, Rivages, 304 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Alexis Nolent, sorti en 2013 (Etats-Unis) 2014 (France)

Je vous conseille aussi:
Sous le signe du rasoir, Jim Nisbet 

mardi 10 novembre 2015

Le Dernier Coyote, de Michael Connelly


Le Dernier Coyote est pour moi le roman le plus attachant, le plus émouvant de ce serial créateur de bestsellers qu'est Michael Connelly. Nul besoin de présenter cet auteur et son personnage fétiche, le célèbre inspecteur Hieronymus Harry Bosch, figure désormais mythique de la littérature policière contemporaine. Le Dernier Coyote raconte la traque par Bosch de l'assassin de sa mère, une prostituée du nom de Marjorie Lew. Celle-ci a été sauvagement assassinée lorsque Bosch était enfant. L'affaire n'a jamais été résolue. Le tenace Bosch va donc jeter toutes ses forces dans la bataille, pour retrouver le tueur, et se retrouver lui-même! En effet, l'inspecteur traverse une passe difficile, car il n'est plus inspecteur jusqu'à nouvel ordre. Il a rendu son insigne, ce qui est insoutenable pour lui. Car son métier c'est sa vie, Bosch donne tout pour rendre justice !

Le Dernier Coyote est un passionnant whodunit doublé d'une réflexion sur la vie, et sur le temps qui passe. Une enquête pleine de suspense et de rebondissements, un furieux page turner impossible à poser avant la toute dernière page. Comme toujours avec Connelly, tout est subtilement et efficacement contrôlé, le suspense va crescendo, et l'incroyable vérité sur la mort de la mère de Bosch apparaît peu à peu, jusqu'au dénouement final. C'est du grand art, et c'est un très grand Connelly.

Enfin, ce polar permet de mieux cerner ce personnage complexe qu'est Harry Bosch, sorte de bombe humaine au service de la vérité. Un homme droit, intègre et (trop) déterminé, mais fragile aussi. Un homme qui a les défauts de ses qualités, et qui doit faire face à ses propres démons. Avec Le Dernier Coyote, Connelly apporte donc de la profondeur et de l'épaisseur à son personnage, lui insuffle plus d'humanité, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire. Un polar émouvant et haletant du début à la fin, et un bel hommage à James Ellroy, dont la propre mère avait été assassinée dans des circonstances similaires. 

Michael Connelly, Le Dernier Coyote, Le Livre de Poche, 600 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Robert Pépin, sorti en 1995 (Etats-Unis) 1999 (France)

Du même auteur sur le blog:

jeudi 5 novembre 2015

La tuerie d'octobre, de Wessel Ebersohn


Wessel Ebersohn fait partie de ces écrivains qui ont longtemps été censurés dans leur propre pays. Son premier roman paru en 1979, le terrifiant Coin perdu pour mourir, lui a valu de sérieux ennuis avec la justice sud-africaine, car c'était une critique implacable et lucide du système de l'apartheid, encore en place à cette époque. Son second roman La nuit divisée, paru en 1981, raconte le combat d'un psychiatre pour faire emprisonner à perpétuité un épicier raciste, qui fait exprès de laisser son magasin ouvert la nuit pour pouvoir abattre des personnes de couleur. Puis l'apartheid disparaît officiellement en 1994, avec la tenue des premières élections nationales et non raciales au suffrage universel. Nelson Mandela devient le premier président sud-africain noir. C'est la victoire du célèbre ANC (African National Congress). 

La tuerie d'octobre a été publié en 2011, mais l'histoire se passe en 2005, soit onze ans après la fin de l'apartheid. L'occasion pour l'écrivain de dresser un premier bilan lucide et sans concession de cette nouvelle Afrique du Sud. Le terrifiant système d'oppression a disparu, mais le nouveau gouvernement a encore du pain sur la planche, aucun doute là-dessus. L'écart entre les riches et les pauvres s'est creusé, et il y a toujours un fort taux de criminalité, qui oblige les classes aisées à se barricader derrière des barbelés. Et les bidonvilles, les tristement célèbres "townships", ne désemplissent pas. 

Sur le fond, La tuerie d'octobre est un passionnant thriller politique écrit par un grand écrivain de polars. On retrouve dans ce roman le personnage fétiche de Wessel Ebersohn, le psychiatre Yudel Gordon. Celui-ci traque un redoutable tueur qui supprime les uns après les autres des militaires de l'ancien gouvernement. Des soldats qui avaient perpétré en octobre 1985 un massacre contre des militants anti-apartheid. Avec dans le lot bien sûr des civils innocents! Sur la forme, Ebersohn est un conteur hors pair, un grand meneur d'intrigues, capable de tenir son lecteur en haleine jusqu'à la fin. Le style est simple, nature, sans gras, sans longueurs. Les personnages sont fouillés et attachants. Bref un polar d'atmosphère réussi avec un message clair: le dicton "du passé faisons table rase" ne va pas de soi dans un pays où le spectre de l'apartheid est toujours présent dans les têtes. 

Wessel Ebersohn, La tuerie d'octobre, Rivages, 416 pages, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Fabienne Duvigneau, sorti en 2011 (Afrique du Sud) 2014 (France)

Du même auteur sur ce blog:
La nuit est leur royaume

Je vous conseille aussi:
La mémoire courte, Louis-Ferdinand Despreez
Les milices du Kalahari, Karin Brynard
Dernier refrain à Ispahan, Naïri Nahapétian

lundi 2 novembre 2015

Cuba Libre, de Nick Stone


Il y a deux Cuba: Le Cuba policé, de façade pour les touristes, et le vrai Cuba, celui du socialisme à la Fidel Castro. Un Cuba dévasté, chaotique, au seuil de l'apocalypse. C'est ce Cuba là que nous dépeint, de manière crédible, le très talentueux Nick Stone, dans son dernier roman, clôturant une trilogie qui fera vraiment date dans l'histoire du polar. Après le très spectaculaire Tonton Clarinette, et l'envoûtant Voodoo Land, Cuba Libre retrace la dernière enquête, ou plutôt quête du privé Max Mingus, un ex-flic désabusé qui traque des ombres, à commencer par celles qui jalonnent sa vie. Une quête de vérité aussi, sur les morts violentes des deux êtres qui ont façonné sa vie: son coéquipier et meilleur ami Joe Liston, le juste, et son mentor et père de substitution Eldon Burns, le pourri. 

Ancien chef de la police de Miami, Burns est assassiné de deux balles dans les deux yeux. Liston est assassiné de la même façon, cette fois-ci sous les yeux de Max. Son enquête va le conduire sur les traces de la mystérieuse et insaisissable Vanetta Brown, et l'entraîner dans un road-trip hallucinant et noir comme le cauchemar sur les routes de Cuba. Un pays ravagé par la misère.

On retrouve dans ce roman tout ce qui fait la force de Nick Stone: une intrigue complexe et palpitante, une écriture musclée et spectaculaire, des dialogues percutants, des scènes chocs, et un final déchirant et inoubliable. Cuba Libre est pour moi le roman le plus noir de l'auteur à ce jour, c'est aussi un thriller politique d'une implacable lucidité. L'auteur en profitant pour critiquer le socialisme à la Fidel Castro, mais également l'impérialisme américain. Pas de manichéisme donc, juste la triste réalité. Les riches s'enrichissent, et les pauvres s'appauvrissent ! 

Nick Stone, Cuba Libre, Gallimard, 512 pages, traduit de l'anglais par Samuel Todd, sorti en 2011 (Royaume-Uni) 2013 (France)

Du même auteur sur ce blog:

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Un thé en Amazonie, Daniel Chavarria
Condor, Caryl Férey
Tant pis pour le Sud, Philippe Rouquier