mercredi 27 janvier 2016

Fleur de cimetière, de David Bell


"Dès le jour de ta naissance, j'ai su que je devrais te laisser partir un jour. Tu allais grandir, faire ta vie. Te marier, peut-être. Déménager. Les parents qui ne se rendent pas compte de ça courent tout droit à la catastrophe émotionnelle." 

Un père veut toujours protéger sa fille, il veut ce qu'il y a de mieux pour son enfant. Mais peut-on vraiment protéger son enfant de toute la noirceur du monde ? Et cet enfant, que veut-il finalement ? Dans Fleur de cimetière, disons que David Bell a imaginé le pire scénario possible pour des parents. Le narrateur est un père de famille dont la fille a disparu à l'âge de 12 ans. Fleur de cimetière raconte l'histoire de cet homme tourmenté mais aussi celle de sa famille. Je n'en dis pas plus, je vous laisse le soin de découvrir le premier roman de cet auteur très talentueux.

C'est simple, ce livre m'a vraiment bouleversé, et hypnotisé dès la première phrase: "quelques mots au sujet de ma fille". Une phrase simple, courte, à l'image de l'écriture de David Bell. Cet auteur était fait pour être écrivain: dialoguiste de talent, meneur de récit hors pair, David Bell écrit très bien. Son style pur, limpide, me fait penser à William Bayer, autre grand auteur américain de polars noirs. La tension dramatique ne faiblit jamais, le ton est toujours juste, et l'histoire poignante vous prend à la gorge dès les premières pages. 

David Bell aborde des thèmes universels dans ce suspense psychologique éprouvant: la relation père-fille, la culpabilité, la perte et ses conséquences, la pédophilie. Ce que j'ai aimé, c'est que l'auteur parvient à maîtriser son sujet, sans tomber dans la fausse empathie, et sans alimenter son roman en rebondissements fumeux ou improbables. On passe par toutes les émotions dans ce polar ancré dans la réalité, et c'est ça qui est fort. 

David Bell fait donc partie de ces écrivains qui nous obligent à regarder en face l'intolérable, sans pour autant tomber dans la caricature ou dans une vision trop simpliste des choses. Ce thriller étouffant dévoile les coulisses peu reluisantes d'une petite ville américaine, et explore, avec une finesse psychologique hors du commun, le comportement humain qui peut parfois prendre une direction totalement inattendue et inavouable.

David Bell, Fleur de cimetière, Babel, 448 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claire-Marie Clévy, sorti en 2011 (Etats-Unis) 2014 (France)

Du même auteur sur ce blog:

La cavale de l'étranger

Je vous conseille aussi:

Les quatre coins de la nuit, Craig Holden
Emergency 911, Ryan David Jahn
Les filles des autres, Amy Gentry
Monteperdido, Agustin Martinez
Emma dans la nuit, Wendy Walker
Le Jardin de bronze, Gustavo Malajovich

Trouver l'enfant, Rene Denfeld

lundi 18 janvier 2016

Le Dévouement du suspect X, de Keigo Higashino


Tout d'abord, je tire un grand coup de chapeau à la traductrice qui a su restituer fidèlement l'écriture limpide de Keigo Higashino, l'un des chefs de file du roman policier japonais. Car c'est ce que j'ai préféré dans ce polar intelligent: c'est très bien écrit, c'est clair, le récit est fluide, les dialogues sont crédibles, et les personnages sont fouillés et plus vrais que nature. L'auteur fait preuve d'une grande finesse psychologique, et d'une maîtrise impressionnante dans la conduite de son récit. On a là un roman policier de tout premier ordre.

Sur le fond, ce roman est un whodunit inversé. On se croirait dans un épisode de l'inspecteur Columbo version nippone. Le meurtre a lieu au début du livre, et on sait donc tout de suite qui est l'assassin. L'intérêt du roman réside dans la façon dont l'énigme sera résolue. Avec un face-à-face subtil entre le complice du meurtre, un professeur de mathématiques, et le "Columbo" local , qui s'avère être un physicien passionné par les énigmes policières tordues. Les deux hommes se connaissent bien, ce qui pimente encore un peu plus l'affaire.

L'évolution psychologique des différents personnages est également très intéressante, et parfois franchement inattendue. En outre, l'auteur nous plonge dans l'univers des mathématiques. Un domaine qui ne me passionne pas vraiment, moi qui suis plutôt un littéraire. Mais l'auteur parvient à nous captiver, d'autant que les mathématiques constituent finalement un élément central de l'énigme à résoudre.

Et enfin, bien sûr l'action du roman se déroule à Tokyo, ce qui est tout de suite dépaysant pour nous lecteurs français. Il serait donc dommage de passer à côté de ce whodunit très bien fichu, avec un coup de théâtre final que je n'ai franchement pas vu venir, et qui m'a totalement bluffé. L'auteur n'a pas oublié les amateurs de rebondissement de dernière minute. C'est le premier roman que je lis de Keigo Higashino, et Le Dévouement du suspect X m'a donné envie d'en lire d'autres. Affaire à suivre !

Keigo Higashino, Le Dévouement du suspect X, Babel, 320 pages, traduit du japonais par Sophie Refle, sorti en 2005 (Japon) 2011 (France)

Je vous conseille aussi:

Le Rideau orange, John Shannon
Il ne faut pas parler dans l'ascenseur, Martin Michaud

jeudi 14 janvier 2016

On achève bien les disc-jockeys, de Didier Daeninckx


Un commando débarque dans une carrière réaménagée en maison, dans le Centre de la France. Trois individus qui abattent de sang froid un homme et sa compagne. Une exécution pure et simple. Pour quelle raison ? Quel était le mobile de cette tuerie ? Il faudra aller chercher l'explication du côté d'une radio artisanale qui donne la parole aux détenus des prisons de France. Tout le talent de Didier Daeninckx concentré dans ce court polar politique, un récit dur et implacable, très bien écrit. La marque de fabrique de cet écrivain inclassable.

Car cet auteur qu'on ne présente plus excelle dans l'art de raconter de courtes histoires captivantes et surtout engagées. Pas besoin d'écrire des pages et des pages pour embarquer son lecteur dans une histoire aboutie. Les romans de cet auteur prolifique en sont la preuve. 

Je ne sais pas si ce court récit est une sorte de clin d'oeil au chef d'oeuvre de Horace McCoy On achève bien les chevaux, mais je ne peux m'empêcher de faire un parallèle entre les deux livres, ou plus précisément entre les deux auteurs. On achève bien les chevaux, qui est également un court roman, est une allégorie du capitalisme américain en général, et du show biz hollywoodien en particulier. Le rêve américain qui tourne au cauchemar. 

Didier Daeninckx lui, c'est la politique sociale française des années 2000 qu'il critique ouvertement. Un auteur engagé qui porte un certain regard sur son époque, sous un angle politico-social. Après, on peut être d'accord ou pas. Mais ce qui est sûr, ce qui compte, c'est que Didier Daeninckx est un écrivain qui sait raconter des histoires. Moi c'est tout ce que je demande à un auteur.

Didier Daeninckx, On achève bien les disc-jockeys, Pocket, 84 pages, sorti en 2006.


mardi 12 janvier 2016

Mystère rue des Saints-Pères, de Claude Izner


Les enquêtes du libraire Victor Legris ont pour cadre le Paris de la fin du 19ème siècle, et sont toujours placées sous le signe de l'originalité et de l'érudition. Vous avez envie de vous cultiver tout en essayant de résoudre une énigme policière: les whodunits historiques de Claude Izner, pseudonyme de deux soeurs Liliane et Laurence Korb, sont faits pour vous. Mystère rue des Saints-Pères est la première enquête de Victor Legris, l'action se déroule en juin 1889, un mois très particulier pour Paris, avec deux événements majeurs qui ont marqué l'histoire: l'inauguration de la tour Eiffel, et l'accueil de l'Exposition Universelle qui permet aux français ayant la chance d'y assister de s'ouvrir au monde. Les cultures des pays colonisés par l'empire français y sont notamment présentées. 


L'érudit Victor Legris va devoir résoudre une série de meurtres inexpliqués qui surviennent lors de cette exposition. Il n'est pas au bout de ses peines !

J'éprouve toujours une grande admiration pour ces auteurs qui sont capables de retranscrire parfaitement une époque et un lieu. De nous apprendre des choses tout en nous captivant avec une énigme policière à résoudre. Claude Izner atteint tous ces objectifs avec brio. Ce livre est une plongée fascinante dans un Paris d'un autre temps. Et côté polar, tout est subtilement et efficacement contrôlé. C'est du grand art tout simplement, et une ode à l'ouverture d'esprit.

Claude Izner, Mystère rue des Saints-Pères, 10/18, 288 pages, sorti en 2003.

Je vous conseille aussi:

lundi 11 janvier 2016

Spinoza encule Hegel, de Jean-Bernard Pouy


"Ce fut là que démarrèrent les défis, les règles, le sang, l'extermination du gauchiste par le gauchiste, du malade infantile par le malade sénile. Jusqu'aux jours d'aujourd'hui où des bandes d'énervés sillonnent les routes, traqués et tueurs, suicidaires et suicidés de la société morte." La France après l'apocalypse, c'est ça: des petits groupes qui se revendiquent communistes, fascistes, féministes, spinozistes ou hégéliens. Et les spinozistes n'aiment pas les hégéliens, mais alors pas du tout. Spinoza encule Hegel, c'est donc l'éthique qui sodomise l'esthétique.  

Et tous ces individus, survivant tant bien que mal dans un monde malade qui tente de se reconstruire, se lancent des défis de sang et de démence, s'affrontent, s’entre-tuent. Ambiance cyberpunk, Mad Max revisité à la sauce Jean-Bernard Pouy.

Résumer un roman de Jean-Bernard Pouy est une gageure tant cet auteur échappe aux codes du genre. C'est une certaine vision de la réalité, qui se traduit dans des récits courts, dont Spinoza encule Hégel est le premier opus. Une fiction violente, un roman noir décalé truffé de références culturelles subtiles, écrit dans un style imagé, et surtout brut de décoffrage, c'est le moins que l'on puisse dire. Cet auteur atypique a su imprimer sa patte singulière au polar, son style d'écriture est à la fois cru et en même temps poétique, philosophique et en même temps drôle. Un mélange totalement détonnant de tendresse romantique et de férocité primitive. Bref, c'est novateur, c'est original.

On est un peu dans le roman engagé, puisque ce récit court et violent est finalement une sorte de métaphore délirante de ce qu'est devenue la france après mai 68: la lutte des classes et des idéologies, les grèves intenses, dont certaines ont mal tourné etc... Mais au final, Spinoza encule Hégel est avant tout un polar d'atmosphère d'une formidable originalité, à ranger dans la catégorie des ovnis littéraires inclassables. C'est plus décalé que noir, car l'auteur ne se prend pas du tout au sérieux, et nous transmet vraiment le plaisir qu'il a dû prendre en écrivant ce livre. Il serait dommage de passer à côté !

Jean-Bernard Pouy, Spinoza encule Hegel, Folio, 144 pages, sorti en 1996.

mercredi 6 janvier 2016

La patience du diable, de Maxime Chattam


Une épidémie de violence s'abat sur la France, les gens pètent littéralement les plombs: deux adolescents abattent plusieurs passagers dans un TGV avant de se donner la mort, un homme abat plusieurs personnes dans un restaurant avant de se suicider, des bombes explosent dans un cinéma etc... et faits encore plus troublants, plusieurs personnes sont retrouvées sans vie apparemment mortes de peur... Faits isolés, ou conspiration de démence et de sang à l'échelle hexagonale? Avec quelqu'un qui tire les ficelles. Qui ? Peut-être carrément le diable en personne ?

Oui, vous l'aurez compris, Maxime Chattam ne manque pas d'imagination, et excelle dans l'art de raconter des thrillers bien sanglants, bien gores, le genre à vous faire passer des nuits blanches. Il faut avoir l'estomac bien accroché pour s'aventurer dans un thriller de Maxime Chattam. Et encore, La patience du diable n'est pas son roman le plus gore. Le précédent, La conjuration primitive, est bien plus "hard"! Et à ce jour, c'est également mon roman préféré de l'auteur, devant In Tenebris, et ... La patience du diable, qui est donc un très bon cru, à déguster sans modération !

Tous les ingrédients du très bon thriller sont réunis: des meurtres, des coupables à démasquer, une enquête éprouvante pour les nerfs des personnages de l'histoire et pour ceux du lecteur aussi, des rebondissements, des scènes chocs spectaculaires, et enfin une réflexion sur l'évolution de nos sociétés modernes. Et sur les origines et les manifestations du Mal chez l'Homme. Un thème récurrent chez l'auteur, un thème qui obsède bien des écrivains de polars. 

Enfin, on retrouve avec plaisir la paire de flics Vancker / Segnon de La conjuration primitive, personnages attachants que l'auteur ne va pas ménager, bien au contraire. La patience du diable est une plongée abyssale dans l'horreur, un thriller diabolique, avec à la baguette un auteur qui maîtrise totalement son art. 

Maxime Chattam, La patience du diable, Pocket, 576 pages, sorti en 2014.

Du même auteur sur ce blog:

mardi 5 janvier 2016

Dérapage, de James Siegel


Moins connu que Harlan Coben, Linwood Barclay, Lisa Gardner ou encore John Grisham, James Siegel écrit peu mais je peux vous certifier qu'il a autant de talent que ses illustres pairs pour raconter des histoires palpitantes pleines de rebondissements. Passé presque inaperçu en France lors de sa sortie en 2004, Dérapage est pourtant un sommet du genre. C'est une vraie bombe textuelle hypervitaminée, un suspense à grand spectacle plein de coups tordus et de situations dangereuses, un feu d'artifice d'action, et aussi d'humour. 

Heureusement d'ailleurs car le pauvre Charles Schine, le héros ou plutôt l'anti-héros de ce thriller teigneux, n'est pas épargné par les problèmes. On n'aimerait vraiment pas être à sa place! Charles Schine, c'est le Monsieur-tout-le-monde, un quadragénaire américain qui vit dans une banlieue-dortoir new yorkaise, et qui prend le train tous les matins pour se rendre à son travail de cadre dans la publicité. Une maison, une femme, et une fille, qui est malade. Le drame de Charles, qui n'attend plus grand chose de positif de la vie, jusqu'au moment où il rencontre THE femme fatale. Et là, la vie de Charles va basculer, broyée dans un engrenage infernal. Plus dure sera la chute !

L'intrigue rondement ficelée nous tient en haleine du début à la fin, tout est subtilement et efficacement contrôlé de la part de James Siegel, qui mène son récit avec une dextérité hors du commun. Le style d'écriture est alerte, percutant, musclé, à base de phrases courtes qui permettent de maintenir le récit dans une tension fébrile. James Siegel signe donc un thriller palpitant, un fast and furious page turner, qui a d'ailleurs été adapté au cinéma, avec Clive Owen et Jennifer Aniston dans les rôles principaux. J'ai quand même largement préféré le livre, je n'ai même pas vu la fin arriver tellement j'étais captivé par cette histoire. Enorme !

James Siegel, Dérapage, Pocket, 340 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacques Martinache, sorti en 2003 (Etats-Unis) 2004 (France)

Du même auteur sur ce blog:

Je vous conseille aussi:

lundi 4 janvier 2016

Nous étions les Hommes, de Gilles Legardinier


Avec Nous étions les Hommes, Gilles Legardinier renouvelle subtilement le thriller politique en mélangeant suspense, science, médecine et religion. Un cocktail détonnant pour un thriller plus humaniste que politique finalement, qui permet à l'auteur d'aborder des questions pertinentes et surtout universelles: quel est le devenir de l'espèce humaine ? Et surtout comment doit évoluer son rapport à la nature ? Nous étions les Hommes, un thriller universel, pétri d'humanité, qui rassemble tout le monde !

Sur le fond, Nous étions les Hommes est une histoire stupéfiante mettant en scène des personnages hors normes. L'intrigue captivante tourne autour de la découverte d'une forme très virulente de la maladie d'Alzheimer. 

Cette démence progresse de manière exponentielle dans le monde, et touche des sujets de plus en plus jeunes, dont certains se transforment en serial killers de la pire espèce. Les chercheurs s'interrogent: l'espèce humaine est-elle en train de s'auto-détruire ? Et à qui profite le crime ? Ce thriller nous prend à la gorge, car l'auteur aborde des sujets qui nous touchent, qui nous concernent. On parle de l'Homme et de son devenir. Et finalement de ce terrible fléau qu'est Alzheimer !

Sur la forme, l'écriture alerte, pleine de vitalité de Gilles Legardinier fait mouche. L'auteur tisse une intrigue subtile et parvient à nous captiver du début à la fin, sans pour autant tomber dans la facilité. Il ne lésine ni sur le romanesque ni sur les rebondissements, dignes des meilleurs thrillers du genre. Legardinier nous offre donc un thriller intelligent totalement abouti.

Gilles LegardinierNous étions les Hommes, Pocket, 480 pages, sorti en 2011.

samedi 2 janvier 2016

S.A.S.H.A, de Martin Michaud


Tout le talent du québécois Martin Michaud condensé dans ce court roman, sorte de thriller politique d'anticipation. L'action se déroule dans l'aéroport de Montréal, avec des flashbacks qui dévoilent petit à petit les tenants et aboutissants de l'intrigue. Dès le début, Martin Michaud imprime à son récit une atmosphère éthérée, trouble, une sorte d'aura sombre qui flotte autour de ses personnages: Sasha, un jeune garçon, et Elias, sorte de père de substitution. Une âme d'enfant encore pure, protégée par une âme d'adulte souillée qui ne nourrit plus aucune illusion sur le monde. Deux âmes en transit, à l'instar de la plupart des gens qui se trouvent dans un aéroport, deux âmes en danger aussi. Un terrible danger dont on mesure l'ampleur au fur et à mesure que l'on avance dans ce récit.

En peu de pages, l'auteur réussit le tour de force d'apporter de la profondeur à son récit, qui dégage finalement une certaine puissance. Martin Michaud éprouve une grande empathie pour ses personnages, ce qui donne aussi de la sensibilité à son récit, sans perdre en crédibilité. Et nous aussi lecteurs éprouvons de l'empathie envers Sasha et Elias, à qui la vie ne fait pas de cadeaux. 

Intrigue captivante, écriture limpide et pleine de sensibilité, personnages attachants, S.A.S.H.A est le genre de récit poignant qu'on n'oublie pas. Avec en filigrane une critique sociale subtile sur l'évolution de nos sociétés modernes.

Martin Michaud, S.A.S.H.A, Kennes Éditions, 140 pages, sorti en 2015.