jeudi 18 février 2016

Au-delà des apparences, de Roy Johansen


Au-delà des apparences est une très bonne pioche dans la profusion de polars qui sortent chaque mois en France. Je m'attendais à lire un thriller sympa, léger, sans prise de tête, et je dois dire que je n'ai pas été déçu, bien au contraire. Sorti en 2001 aux Etats-Unis, et l'année dernière en France, ce mélange de whodunit et de suspense à l'américaine marque le début d'une série policière de bonne facture, dans la lignée du célèbre mentaliste Patrick Jane pour le petit écran. Ici, le mentaliste en question s'appelle Joe Bailey, surnommé "le casseur de médiums". L'attachant Joe, qui a d'ailleurs autant d'humour que Jane, est un chasseur de charlatans, et visiblement y a du boulot dans ce domaine. Ancien magicien illusionniste, Joe Bailey a décidé de devenir policier, et il traque les nombreux arnaqueurs qui sévissent dans le monde du paranormal. 

Ce sympathique enquêteur est appelé sur une scène de crime particulièrement surprenante: l'éminent professeur de parapsychologie Robert Nelson est retrouvé mort, cloué au mur par une statue, à plus de trois mètres de hauteur. 

Crime surnaturel ou plutôt crime maquillé en acte surnaturel ? Joe va devoir trancher, d'autant que les soupçons se portent immédiatement sur l'un des sujets de Nelson, Jesse Randall, un jeune garçon de huit ans, qui semble doté de pouvoirs surnaturels. Dont celui de pouvoir projeter à distance, d'un mur à l'autre, une statue sur un professeur pour le tuer. Ce phénomène s'appelle une tempête psychique. Vous voulez en savoir plus sur les tempêtes psychiques et bien d'autres choses encore, et bien plongez tête la première dans cette enquête fascinante, pleine de suspense et de rebondissements. Une immersion totale dans l'univers du paranormal ainsi que celui des sectes millénaristes.

Sur la forme, j'ai trouvé ça un peu "planplan" au début, ça met un peu de temps à démarrer, mais ensuite, le récit se fluidifie, et l'histoire prend forme. C'est bien écrit, c'est bien fichu, le style est simple, limpide, et les personnages sont attachants. Pas un polar indispensable, mais je ne regrette pas de l'avoir lu, on passe un bon moment de lecture. 

Roy Johansen, Au-delà des apparences, Bragelonne, 312 pages,  traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Benoit Domis, sorti en 2001 (Etats-Unis) 2015 (France)

mardi 16 février 2016

Captain Butterfly, de Bob Leuci


Marjorie Butera, alias Captain Butterfly, est une policière coriace, ambitieuse, et surtout incorruptible. Alors travailler à la Division des Affaires Internes, ce n'est pas un problème pour cette femme de caractère, bien au contraire. Captain Butterfly n'hésite donc pas à coincer les ripous, mais il y en a un qui résiste. Et c'est le pire de tous: l'inspecteur principal Janesky, le chef du BSCO, pour Brooklyn South Command Office, dans Red Hook. Et en 1988, Red Hook est un quartier de Brooklyn très très dangereux. C'est New York version cauchemar dans la rue.

"Il se passait des trucs pas beaux du tout dans cet endroit,.., il ne voulait pas rester dans les parages de cette bande de flics cinglés qui ne pensaient qu'à la loi du talion". 

L'endroit en question c'est donc le BSCO, dirigé par une sorte de colonel Kurtz qui prône la violence auprès de ses hommes pour faire régner l'ordre. Et le message a bien été compris par certains de ces hommes, notamment Monty Adams, surnommé le Prince de la Douleur. Un flic "testostéroné" ultra-violent qui prend un malin plaisir à torturer les prisonniers. D'ailleurs le premier chapitre du livre se termine par une scène de torture, ça met tout de suite dans l'ambiance.  

Pour faire tomber le fou Janesky, pourtant adulé par tous ses pairs, Captain Butterfly va introduire un espion au sein du BSCO, cette meute de loups assoiffés de corruption, de pouvoir, et de sang. Pauvre Frank Bosco, le gentil, l'agneau sacrifié sur l'autel de l'ambition et de l'intégrité de Marjorie Captain Butterfly. Qui doit lutter contre les intérêts de ses patrons, des chefs qui ne pensent qu'à préserver leurs propres intérêts. Alors nettoyer la police de ses pires éléments, ça peut être embêtant si ça éclabousse trop! Mais Captain Butterfly a plus d'un tour dans son sac.

Peinture sidérante de la corruption policière dans les grandes villes américaines à la fin des années 80, Captain Butterfly est un roman noir prenant et implacable. Un roman de terrain raconté par un flic de terrain. Et oui, rien de tel que le vécu! Le style d'écriture de Bob Leuci, décédé le mois dernier d'ailleurs, est viscéral, cru, brut de décoffrage. Son récit est sec, nerveux, tendu comme une lame de couteau. Les cinquante dernières pages du livre sont étouffantes, on sent qu'il va se passer quelque chose de grave. Cette histoire puissante, électrique, est un constat sans concession d'un système policier qui bascule de plus en plus dans la violence. D'ailleurs, ce livre est prophétique, car trois ans après sa sortie, le maire Rudolph Giuliani mettrait en place sa fameuse politique de Tolérance Zéro. 

Bob Leuci, Captain Butterfly, Rivages, 304 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Annie Hamel, sorti en 1988 (Etats-Unis) 1993 (France)

Du même auteur sur ce blog:
Odessa Beach ; L'Indic

Je vous conseille aussi:

911, Shannon Burke
Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous, Laurie Lynn Drummond
Nécropolis, Herbert Lieberman
Code 93, Olivier Norek
Corruption, Don Winslow

jeudi 11 février 2016

La ville des morts, de Sara Gran


La ville des morts, c'est la Nouvelle-Orléans, après le passage du tristement célèbre ouragan Katrina en 2005. L'enquête de la détective Claire DeWitt débute en janvier 2007, soit un an et demi après la catastrophe. Sara Gran décrit une ville chaotique, désemparée, au seuil de l'apocalypse. Le constat est terrifiant, et les dégâts toujours visibles, comme si l'ouragan était passé quelques jours avant: "Les ravages n'en finissaient pas.... des habitations avec des murs en moins, des maisons poussées dans d'autres par la puissance de la vague, des voitures sur des voitures, des lotissements à moitié effondrés, des bateaux sur les trottoirs..." Déjà qu'avant Katrina, cette ville était gangrenée par la délinquance et la pauvreté... Au milieu de ces ruines, Claire DeWitt va donc enquêter sur la disparition d'une figure locale, elle va faire de singulières rencontres, et mettre à jour de vilains secrets.

Sur le fond, Sara Gran pose les bases d'un univers très original, fouillé, qui sort des sentiers battus, à l'image de son personnage Claire DeWitt, une jeune femme complètement libérée, et hantée par la disparition inexpliquée de sa meilleure amie. C'est un peu la version féminine de Patrick Jane, mais en beaucoup moins politiquement correct. Par contre, la manière de résoudre les énigmes est aussi peu conventionnelle. Claire se réfère d'ailleurs à une sorte de manuel du parfait détective: Détection de Jacques Silette. De nombreux chapitres du livre se terminent par des conseils du type: "Ne croyez rien. Doutez de tout. Suivez les indices, et seulement les indices." 

Sur la forme, j'ai failli m'arrêter au bout d'une trentaine de pages, destabilisé par le style d'écriture singulier de Sara Gran: un style imagé, parfois saccadé, haché même. C'est un peu déconcertant au début. Idem pour le déroulement de l'histoire qui oscille sans cesse entre présent et passé; Et entre les deux, viennent se greffer des chapitres entiers consacrés aux rêves de Claire DeWitt. Mais ces nombreux retours dans le passé de la jeune femme étaient nécessaires dans l'intérêt du roman, et pour la mise en place de la série. J'ai bien fait d'insister, car l'intrigue est vraiment subtile, et l'atmosphère du roman hallucinante et hallucinée ! Et on s'habitue à l'écriture de Sara Gran, qui maîtrise globalement la conduite de son récit. Il y a une cohérence dans tout ça. Et beaucoup de symbolique. Au final, La ville des morts est un whodunit décalé, mais surtout très noir, qui marque le début d'une série policière prometteuse et originale. j'attends la suite avec curiosité.

Sara Gran, La ville des morts, Points, 384 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claire Breton, sorti en 2011 (Etats-Unis) 2015 (France)

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mercredi 10 février 2016

Huit millions de façons de mourir, de Lawrence Block


Et huit millions de morts en sursis. Pourquoi en sursis? Parce qu'au début des années 80, New York est une ville très très dangereuse, et Lawrence Block, auteur très prolifique de romans noirs, retranscrit parfaitement l'insécurité permanente qui régnait à l'époque. Un fait établi qui allait d'ailleurs conduire quelques années plus tard à l'élection de Rudolph Giuliani au poste de maire, et à la mise en place de sa politique ultra-répressive en matière de délinquance: la fameuse tolérance zéro ! 

L'atmosphère de ce roman très noir fait clairement penser au film Taxi Driver, avec Robert De Niro qui déambule dans une ville en perdition, gangrenée par la misère et la violence. Ce polar d'atmosphère contient donc tout un catalogue de faits divers de l'époque sur les façons de mourir des huit millions d'habitants de la grosse pomme. Terrifiant !

Très clairement, Huit millions de façons de mourir est un classique du roman noir, et séduit par la personnalité à la fois simple et complexe de son personnage principal Matt Scudder - un ancien flic reconverti en privé solitaire et alcoolique - et par l'écriture, limpide, subtile et parfois laconique de Lawrence Block, THE romancier de la ville de New York, version noire comme le cauchemar. 

Lawrence Block a mis en scène Matt Scudder dans une dizaine de romans noirs, un personnage mélancolique, meurtri, et désabusé, qui vivote comme détective privé et tente d'échapper à l'alcool. Ce roman est d'ailleurs le premier de la série où Scudder parvient à arrêter pendant un moment l'alcool. Peut-être parce qu'il s'implique vraiment dans l'affaire qui lui est confiée par une prostituée Kim. Celle-ci demande à Scudder de l'aider à quitter son souteneur, un certain Chance, personnage énigmatique, fascinant, qui vaut vraiment le détour. La prostituée en question est sauvagement assassinée, Chance est soupçonné du meurtre et demande à Scudder de démasquer le vrai coupable.


Intrigue subtile et captivante non dénuée d'humour (heureusement d'ailleurs!), personnages fouillés et plus vrais que nature, et enfin réflexion sur le mal, et le deuil, Huit millions de façons de mourir est pour moi le meilleur roman de Lawrence Block. 

Lawrence Block, Huit millions de façons de mourir, Folio, 416 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Rosine Fitzgerald, sorti en 1982 (Etats-Unis) 1985 (France)

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jeudi 4 février 2016

Têtes de Maures, de Didier Daeninckx


Melvin Dahmani, l'anti-héros de ce roman noir historique, reçoit le faire-part de décès d'une jeune femme dont il fut brièvement amoureux dans sa jeunesse. Dahmani se rend en Corse pour assister à l'enterrement et apprend que la jeune femme s'est suicidée. Il va alors enquêter sur son passé pour comprendre les raisons de cet acte désespéré. Et soulever ainsi quelques lièvres historiques très nauséabonds. Et comme dit le proverbe corse "ici tout se fait, tout se sait, tout se tait". D'autant qu'une vague de crimes violents s'abat sur l'île de beauté. Le pauvre Melvin ne se rend pas compte que sa vie est en danger. 

Une fois de plus, Didier Daeninckx mélange habilement histoire, socio-politique, et polar noir, signant ainsi un roman passionnant mais aussi implacable et glaçant de réalisme. 

Attention, tout n'est pas noir non plus dans ce polar, qui vous l'aurez compris, a pour cadre la Corse, cette île si magnifique et si pleine de contrastes. J'y ai vu tout d'abord un hommage à cette terre qui regorge de paysages grandioses, inimitables. L'île de beauté porte bien son nom! Et bien sûr on y mange bien, et côté boisson, je n'ai pas compté le nombre de mauresques que Melvin s'enfile durant son périple !

Didier Daeninckx, formidable raconteur d'histoire, retranscrit magnifiquement tout ce qui fait le charme de la Corse. Mais bien sûr, cette terre a également un côté obscur et un passé lourd de conséquences. Un véritable chant de démence et de sang qui se transmet d'une génération à l'autre !

Enfin, l'auteur dénonce également l'immobilier galopant qui dénature petit à petit les plages de l'île, transformant ainsi des endroits magiques en stations balnéaires sans âme: des cités-dortoirs pour touristes qui débarquent par milliers de paquebots gigantesques. Au final, un polar très corsé ! (désolé je n'ai pas m'en empêcher)

Didier Daeninckx, Têtes de Maures, Folio, 272 pages, sorti en 2013.

Du même auteur sur ce blog:
On achève bien les disc-jockeys

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L'homme qui a vu l'homme, Marin Ledun 

mardi 2 février 2016

Harcelée, de Jason Starr


"C'est une vérité universellement reconnue qu'un célibataire pourvu d'une belle fortune doit avoir envie de se marier." Le célibataire en question, c'est Peter Wells. Officiellement, Peter est réceptionniste dans un club de fitness à Manhattan, et ambitionne de devenir coach sportif. Officieusement, Peter a accepté ce job pour être au plus près de la femme qu'il aime depuis toujours, Katie Porter, une jeune yuppie new-yorkaise, en couple avec Andy, THE queutard de base. Peter a beaucoup de projets pour Katie, et il ne reculera devant rien pour séduire la jeune femme. Ha oui j'ai oublié de vous préciser un truc important: Peter Wells fait partie de ces gens qu'on ne devrait pas laisser en liberté. Oui, Peter est dangereux, il est même complètement barje, mais barje dans le très mauvais sens du terme !!

Très franchement, Harcelée n'a pas vocation à révolutionner le roman policier, ce n'est pas un polar incontournable, indispensable. Non, Harcelée, c'est de la bonne série B, c'est bien fichu, c'est un suspense sympa qu'on dévore vite fait sur un transat au bord de la piscine. C'est bien écrit, dans un style simple, à base de dialogues crus, bruts de décoffrage. Jason Starr ne fait pas dans la finesse, c'est le moins que l'on puisse dire. Mais il a le don de vous embarquer dans son histoire, et de vous captiver, même si l'histoire en question ne casse pas des briques niveau originalité.


Ce que j'ai aimé aussi dans ce récit à plusieurs voix, c'est qu'une même scène est présentée à travers plusieurs points de vue successifs. Et la perception de la réalité peut être très différente d'un personnage à l'autre. Cela donne du piment à l'histoire, et c'est même parfois franchement comique. 


Au final, Jason Starr signe un divertissement sympa, plein d'action, de suspense, et aussi d'humour. Ce n'est pas très original, c'est du polar "de gare", sans prise de tête, vite lu, et vite oublié ! 

Jason Starr, Harcelée, Rivages, 432 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marie Ollivier-Caudray, sorti en 2007 (Etats-Unis) 2008 (France)

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