lundi 25 avril 2016

Tonnerre, de James Grady


Le premier roman que j'ai lu de James Grady est Le fleuve des ténèbres. J'avais moyennement apprécié. J'ai insisté en m'attaquant à son best seller Les six jours du condor. Mouais, pas plus convaincu que ça. J'avais donc mis cet auteur de côté, jusqu'à ce qu'un ami libraire me prête Tonnerre. "Tu vas changer d'avis sur James Grady, c'est un formidable romancier, simplement ses deux romans les plus connus sont en fait les moins bons !!" 

Paradoxal tout ça ! Et pourtant, mon ami avait totalement raison. J'ai suivi son conseil, et bien m'en a pris, car sinon je serais passé à côté de formidables heures de lecture. J'ai dévoré Tonnerre, et enchaîné avec Steeltown, Comme une flamme blanche, et Mad dogs. Tous d'excellents thrillers politiques.

Tonnerre a donc une signification toute particulière pour moi, car ce roman m'a fait aimer James Grady, que j'ai eu le plaisir de rencontrer lors du salon Quais Du Polar de Lyon. Un personnage charismatique, et surtout très sympathique. Je ne détaillerai pas l'intrigue de Tonnerre, dont l'action se déroule entièrement à Washington. Ce thriller politique implacable est une mécanique de précision parfaitement huilée, qui emporte tout sur son passage. Une machination diabolique, et crédible, dans les entrailles de la CIA, LE sujet de prédilection de l'auteur.

Tout est subtilement et efficacement contrôlé de la part d'un auteur qui démontre un immense talent pour échafauder des scénarios diablement efficaces, et camper des personnages forts, et plus vrais que nature. Si vous souhaitez vous attaquer à l'oeuvre du maître du thriller politique, je vous conseille donc de commencer par Tonnerre. Un roman d'espionnage palpitant et totalement abouti, encensé par un certain ... James Ellroy !

James Grady, Tonnerre, Rivages, 512 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, sorti en 1994 (Etats-Unis) 1995 (France)

Du même auteur sur ce blog:

vendredi 15 avril 2016

Mala Vida, de Marc Fernandez


"Il lui manque cependant un élément essentiel, une pièce du puzzle qu'il n'a pas encore: le mobile. Pourquoi voler des enfants? Pour le compte de qui? Pour en faire quoi? Il n'ose imaginer que c'est uniquement pour l'argent." Rassurez-vous, en citant cette phrase du livre, je ne dévoile pas grand chose de l'intrigue du premier roman de Marc Fernandez. Car dans Mala Vida, le lecteur entre très rapidement dans le vif du sujet. Un odieux trafic de bébés volés a vu le jour sous la dictature franquiste. Plus horrible encore, ce trafic a même continué longtemps après la mort du général Franco.

Le problème, c'est qu'en Espagne, on n'aime pas parler de l'époque douloureuse de Franco. C'est une plaie fermée à double tour qu'on ne veut surtout pas ouvrir. Malgré ce traumastisme collectif qui s'est mué en omerta, la droite dure revient quand même  au pouvoir dans le pays, après douze ans de socialisme. La faute à la crise économique qui frappe l'Espagne de plein fouet. Il ne manquait plus que le scandale des bébés volés pour ébranler un édifice déjà bien fragile. Et pendant ce temps, des citoyens en apparence ordinaires sont assassinés par une personne qui semble mener une vendetta pure et simple. 

Pour son premier roman, Marc Fernandez mêle habilement histoire, roman noir, et thriller politique. C'est tout un pan peu reluisant de l'histoire récente de l'Espagne qui est dévoilé dans ce roman sombre et captivant. Mala Vida est une histoire tragique mettant en scène des personnages fébriles, qui nagent dans les eaux troubles du fascisme et du fanatisme religieux. L'intrigue est taillée au couteau, tendue comme un fil de rasoir. 

Sur la forme, c'est un premier roman, et donc il y a quelques maladresses d'écriture, et les personnages manquent un peu d'épaisseur. Mais l'impression d'ensemble est largement positive. Le style de Marc Fernandez est simple, sec, télégraphique. Une écriture de journaliste qui va à l'essentiel. J'ai aimé! Il n'y a pas de gras, pas de fioritures. Mala Vida, c'est dur, c'est tendu, c'est bien mené, et surtout c'est un thriller politique et historique qui met au jour une vérité franchement sordide. 

Marc Fernandez, Mala Vida, Préludes, 288 pages, sorti en 2015.

Je vous conseille aussi:

Mapuche, Caryl Férey
La peine capitale, Santiago Roncagliolo

mercredi 13 avril 2016

Le mythe d'Isaac Becker, de Reed Farrel Coleman


Reed Farrel Coleman produit un court récit historique fait pour être lu d'une traite. L'histoire est prenante dès la première page, partant d'un contexte historique universellement connu: la Shoah, mot hébreu signifiant catastrophe, qui désigne l'extermination systématique des Juifs perpétrée par le régime nazi durant la seconde guerre mondiale. Et avec comme thème principal un mythe inventé de toutes pièces par un homme guidé par le plus basique des instincts: la survie.  

Sur le fond, l'auteur raconte l'histoire de Jacob, un rescapé des camps de concentration. Une histoire faite d'horreurs, de mensonges, et de culpabilité. Car pour échapper à la chambre à gaz, Jacob a dû commettre des actes atroces, il a menti, il a trahi, nourrissant ainsi une culpabilité qui ne quittera plus jamais son âme brisée. 

Car, nous ne sommes pas dans un monde manichéen, avec d'un côté le bien et de l'autre le mal. C'est beaucoup trop facile. Chaque individu agit d'une certaine façon à un moment donné, en tenant compte des contraintes qui lui sont imposées, et des ressources qui lui sont allouées. Dans les camps de la mort, l'unique préoccupation de Jacob était de survivre jour après jour, par tous les moyens. Quitte à raconter un mensonge, qui prendra une ampleur telle que le cours de sa vie s'en trouvera totalement modifié. 

Sur la forme, en un peu moins de cent pages, cet auteur talentueux parvient à délivrer un récit fort, dense, impitoyable, et surtout très noir. Le style est sec, clinique, efficace. Pas de descriptions inutiles, juste l'histoire, les faits et les conséquences. Un récit poignant qu'on ne lâche pas! Ce court roman est suivi à la fin d'un entretien avec l'auteur, qui explique les fondements de cette histoire tragique. 

Reed Farrel Coleman, Le mythe d'Isaac Becker, Ombres noires, 96 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Brévignon, sorti en 2015 en France.

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lundi 11 avril 2016

Corrosion, de Jon Bassoff


"Mon esprit volait en éclats et mes souvenirs étaient ceux d'un autre." Cette courte phrase du livre vous donne un aperçu très précis de ce qu'est Corrosion, véritable ovni littéraire. Je n'évoquerai dans cette critique que la première partie de la phrase. Parler de la deuxième partie m'obligerait à dévoiler l'intrigue, ce qui serait dommage. Ken Bruen, qui a critiqué ce roman noir comme le cauchemar, compare Jon Bassoff à des auteurs célèbres. Alors oui, il y a chez ce jeune écrivain du Jim Thompson pour l'épouvantable noirceur qui se dégage de Corrosion, du Chuck Palahniuk pour le côté désespérément fou du personnage central du roman, et du David Lynch pour l'atmosphère décalée et post-apocalyptique. 


Effectivement, l'action du roman se déroule de nos jours dans le Colorado. Et il y a bien quelques repères qui nous ramènent au temps présent, mais pour le reste, on se croirait revenu au temps du Far West ! L'auteur décrit un monde de désolation, chaotique, au seuil de l'apocalypse. L'Amérique du néant !

J'ajouterai John Ridley et Hubert Selby Jr aux comparaisons avec d'autres auteurs. John Ridley par rapport au début du roman. Petit rappel: le roman culte de cet auteur Ici commence l'enfer a été adapté au cinéma par Oliver Stone, sous le titre U Turn, avec Sean Penn, Jennifer Lopez (son meilleur rôle au cinéma d'ailleurs), et Nick Nolte. Dans Corrosion, le personnage principal n'est pas un truand. C'est un vétéran d'Irak au visage défiguré, mais qui, tout comme Sean penn, débarque dans un bled paumé pour faire réparer sa voiture qui vient de rendre l'âme. Le genre de purgatoire terrestre que t'as vite envie de quitter. Joseph va aussi y rencontrer sa "Jennifer", qui s'appelle Lilith, et qui aimerait bien aussi se débarasser de son encombrant mari. 

Stop pour la comparaison avec U Turn. Et Start pour la ressemblance avec Le Démon d'Hubert Selby Jr. Car ce roman cauchemardesque bascule vite dans la folie. Un chant funèbre sur un monde de démence et de sang. Car Joseph Downs est un barje de la pire espèce! 
Je pense qu'il me faudra une deuxième lecture de Corrosion pour en comprendre le sens, et en saisir toute la subtilité. Car ce roman sur la folie recèle une symbolique très élaborée, par exemple au niveau des personnages. Lilith, la femme que rencontre Joseph Downs dans le bar du bled, porte le même nom qu'une figure démoniaque de la tradition juive. Et Benton Faulk, autre personnage du roman, fait référence à William Faulkner, grand écrivain américain de romans très sombres, très noirs. En outre, l'intrigue est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. 

Au final, je retiendrai ce que Jon Bassoff a écrit sur la première page de mon exemplaire du livre, lors de notre sympathique rencontre, samedi dernier: "Enjoy the madness". Prendre ce roman au second, voire au troisième degré. Apprécier l'originalité de ce court roman. Garder ses distances par rapport à cette histoire abominable. Qui n'est qu'une histoire finalement ! Une histoire de fous. Mais un fou qui évolue dans un monde de fous est-il réellement fou ? 

Jon Bassoff, Corrosion, Gallmeister, 240 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anatole Pons, sorti en 2013 (Etats-Unis) 2016 (France)

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jeudi 7 avril 2016

... Et justice pour tous, de Michaël Mention


Je ne vais pas y aller par quatre chemins, ... Et justice pour tous est à ce jour, et de très loin, le meilleur polar de Michaël Mention, qui clôt de manière magistrale sa trilogie anglaise. C'est son roman le plus fort, le plus intense, mais aussi le plus noir. Oui un roman très noir, atroce, étouffant, implacable, impitoyable. Michaël mention confirme tout son talent pour camper des personnages forts et échafauder des scénarios diablement efficaces. Car il se dégage de ce polar coup de poing une puissance sauvage, électrique. Et l'intrigue est taillée au couteau. 

Sur le fond, on y retrouve Mark Burstyn, personnage phare de la trilogie, ancien chef de police qui, à 72 ans, s'est exilé à Paris, pour sombrer dans l'ennui et l'alcool. Seule lueur dans les ténèbres de son existence d'épave: sa filleule Amy, la fille de son meilleur ami Clarence, qui est toujours flic à Wakefield, dans le nord de l'Angleterre. Amy est une fille adorable qui écrit à son parrain chaque semaine, sans pourtant l'avoir jamais vu. Mais Amy est tuée "accidentellement" par un chauffard. Anéanti, Burstyn, qui n'a pas perdu son instinct de flic, ne croit pas à l'accident, et décide de rentrer au pays pour enquêter sur la mort de sa filleule. Le septuagénaire va découvrir l'indicible, véritable chant funèbre sur une société de démence et de sang. Je n'en dis pas plus, mais accrochez-vous, c'est très très sombre. 

Outre l'intrigue haletante, à fort contenu émotionnel, je trouve aussi que Michaël Mention a gagné en fluidité, et montre une maîtrise remarquable dans la conduite de son récit. Une écriture Rock and roll, pleine de vitalité. Un style simple, percutant, alerte, syncopé. Des phrases courtes assénées tels des uppercuts que le lecteur se prend en pleine face. Mais dans le bon sens du terme. Et toujours ce regard acéré sur notre époque troublée.

Au final, ... Et justice pour tous est un roman noir majuscule, inspiré d'une histoire vraie, qui ne vous laissera pas indifférent. J'ai adoré et dévoré ce livre. Bravo Monsieur Mention! Par contre, je recommande de lire d'abord les deux premiers volets de la trilogie, Sale temps pour le pays et Adieu demain, car l'intrigue de ... Et justice pour tous est vraiment liée à ce qu'il s'est passé dans les deux premiers romans. Il y a une continuité dans cette trilogie anglaise, qui prend tout son sens dans ce dernier roman, crépusculaire à souhait. Et le final est dantesque ! 

Michaël Mention, ... Et justice pour tous, Rivages, 384 pages, sorti en 2015.