lundi 30 mai 2016

Ici commence l'enfer, de John Ridley


"Et soudain, il comprit. C'était si évident qu'il aurait dû piger plus tôt: il était en enfer. C'était la seule explication possible. Sa bagnole qui tombe en rade à cet endroit précis... cette cinglée de Grace... son mari, encore plus cinglé... les motards... la vieille Mexicaine au fusil de chasse... les billets déchirés...et la chaleur... cette chaleur implacable. Tout ça, c'était trop dingue... beaucoup trop dingue pour une seule journée. Et il n'était encore que midi. C'était l'enfer évidemment." 

L'enfer en question, c'est Sierra, un bled paumé en plein milieu du désert américain. Peuplé de personnages plus dingues les uns que les autres. Pour John, l'enfer commence au moment où sa voiture tombe en panne à l'entrée de Sierra. 

Comme quoi le destin d'un homme peut basculer sur un simple détail, en l'occurrence une durite de voiture pétée pour le pauvre John, qui va se retrouver embarqué dans une histoire de fous. Que voulez-vous, certaines personnes attirent les ennuis, et ce looser de John en fait partie. Vous connaissez peut-être le film, beaucoup moins le livre. En effet, Oliver Stone s'est inspiré de ce petit bijou d'humour noir pour réaliser U Turn, avec Sean Penn, dans le rôle de John, Jennifer Lopez, dans le rôle de Grace, la femme fatale, et Nick Nolte, dans le rôle de Jake, le mari cinglé. Personnellement, je préfère le livre, que j'ai lu après avoir vu le film. 

John Ridley signe un polar d'atmosphère teigneux, fébrile, une histoire puissante au rythme échevelé. L'écriture est rapide et fluide, le style économe et incisif. Tous les ingrédients du très bon polar qu'on ne lâche pas sont réunis: des dialogues enlevés, de l'action, du suspense, des rebondissements tordus, un final corral et un humour bien noir. L'atmosphère est étouffante, on a vraiment l'impression que John est coincé dans ce bled, et qu'il n'arrivera pas à en sortir. On souffre avec lui, on se met à sa place, on aimerait qu'il quitte cet enfer sur terre, mais John ne prend jamais les bonnes décisions, quand ce n'est pas le mauvais sort qui s'abat sur lui. Alors Il vaut mieux en rire !

Au final, Ici commence l'enfer est un mélange totalement réussi de roman noir et de comédie grinçante, c'est un pulp survitaminé, mené à un train d'enfer. Un vrai régal de lecture. Enorme !

John Ridley, Ici commence l'enfer, Rivages, 240 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Pêcheux, sorti en 1997 (Etats-Unis) 1998 (France)

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jeudi 26 mai 2016

Les Assassins, de R.J. Ellory


Depuis longtemps, le serial killer fascine les gens et bien sûr de nombreux écrivains de romans policiers: Shane Stevens, Thomas Harris, Maxime Chattam, Donato Carrisi et ... R.J. Ellory. Avec en toile de fond, la question de l'origine du mal, de ce que les êtres humains sont capables de s'infliger entre eux. Cette dernière phrase revient souvent dans Les assassins, magistral thriller qui raconte la traque, vous l'aurez compris, d'un redoutable tueur en série. Un polar sanglant, nerveux, et prenant du début à la fin. Encore un grand R.J. Ellory.

"Le Commémorateur avait anéanti toute possibilité d'une vie normale, et Irving lui en voulait. Un inconnu avait heurté de plein fouet son monde, et sous les décombres, Irving attendait avec hâte que l'auteur de ce désastre montre son visage." Le commémorateur est le surnom donné au tueur en série qui sème la terreur dans les rues de New York, en rééditant des crimes commis par d'anciens tueurs en série. Un imitateur fou qui rend ainsi hommage à ses prédécesseurs. Irving, c'est le pauvre flic chargé de l'enquête. Un personnage tourmenté, désabusé, mais également intègre et déterminé. Un flic solitaire à la Serpico, un type de personnage qu'affectionne tout particulièrement R.J. Ellory. Les assassins est donc une plongée abyssale dans les ténèbres de l'âme humaine. C'est un chant funèbre sur une société de démence et de sang. C'est aussi une enquête époustouflante, pleine de suspense et de rebondissements.

Comme d'habitude, Ellory montre une maîtrise impressionnante dans la conduite de son récit, s'appuyant sur une solide connaissance des méthodes d'investigation policières. L'auteur nous retranscrit parfaitement les enjeux d'une telle chasse à l'homme, et les nombreux obstacles qui vont se dresser sur la route d'Irving: le manque de moyens, les relations houleuses avec ses supérieurs, les conflits avec les médias, les pistes avortées... C'est passionnant et instructif. Certaines scènes atteignent des sommets d'intensité dramatique. Les assassins est donc un grand Ellory, un excellent cru, avec un final puissant et inoubliable. 

R.J. Ellory, Les Assassins, Sonatine, 570 pages, traduit de l'anglais par Clément Baude, sorti en 2009 (Royaume-Uni) 2015 (France)

Du même auteur sur ce blog:
Les anonymes ; Les Anges de New York ; Mauvaise étoile ; Les neuf cercles ; Le Chant de l'assassin

Je vous conseille aussi:
Le chuchoteur, Donato Carrisi
Jeu d'ombres, Ivan Zinberg


jeudi 19 mai 2016

Puzzle, de Franck Thilliez


Cela n'engage que moi, mais je trouve que Franck Thilliez donne la pleine mesure de son talent quand il produit des "one-shots", plutôt que quand il se consacre à sa série scientifique Sharko/Hennebelle. Le syndrome E, Gataca, ou Atomka ne sont pas de mauvais thrillers, loin de là! mais j'ai largement préféré La forêt des ombres, Vertige (mon préféré) et présentement ... Puzzle, un thriller hors norme, mêlant psychiatrie, neuroscience, et univers des jeux de rôles. Je n'en dis pas plus concernant l'intrigue, qui tourne autour d'un jeu secret appelé Paranoïa. 

Puzzle est une mécanique de précision parfaitement huilée, un thriller sanglant totalement abouti, un formidable jeu de pistes, plein de suspense et de rebondissements. 

Si je devais donner un équivalent cinématographique, je citerais Identity, Memento, Cube, et Shutter island. Ce dernier pour le rebondissement final tout aussi inattendu, et l'atmosphère glaçante, puisque l'action de Puzzle se déroule dans un hôpital psychiatrique abandonné. Frissons garantis, ne lisez pas seul(e) ce livre la nuit, dans une maison qui grince, sinon c'est la crise cardiaque assurée ! 

Le récit est parfaitement construit, tout est subtilement et efficacement contrôlé de la part d'un auteur inspiré. Le style d'écriture est efficace, percutant, et limpide, comme toujours chez Franck Thilliez. J'ai adoré! Pourvu que l'auteur s'éloigne de temps en temps de sa série scientifique pour nous régaler avec des thrillers bien tordus comme Puzzle. Mais je n'ai pas encore lu Angor et Pandemia, peut-être ces deux opus me feront-ils changer d'avis sur le duo de choc Sharko/Hennebelle.

jeudi 12 mai 2016

Les infâmes, de Jax Miller


Avertissement ! Vous qui entrez dans Les infâmes, laissez toute espérance, et attendez-vous à vivre une expérience éprouvante. Ici, on est dans le domaine du roman très très noir. Pour son premier roman, Jax Miller n'y va pas par quatre chemins pour raconter son histoire noire comme le cauchemar. Un récit à plusieurs voix épique et violent, des destins qui s'enchevêtrent parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. Des personnages inoubliables, avec en première ligne l'héroïne de ce roman, ou plutôt l'anti-héroïne: Freedom Oliver, alias Nessa Delaney. 

"C'est une mère blessée. Une femme qui ne reculera devant rien pour retrouver les enfants qu'elle n'a jamais connus, une femme qui a tout sacrifié, au risque d'endurer des souffrances que Mattley ne peut même pas envisager." 

Les infâmes est avant tout l'histoire de cette femme brisée par un cruel destin, qui va traverser le grand nulle part américain d'ouest en est, pour retrouver sa fille biologique, qui a disparu de son foyer d'adoption. Foyer qui s'avère être une secte religieuse, dirigée par un pasteur aux croyances très radicales. Le récit à la première personne du singulier permet au lecteur de sonder en profondeur la personnalité de Freedom, et de ressentir ses émotions face aux événements. Ce qui donne au récit une grande intensité dramatique, contribuant au succès de ce roman hors norme. 

Premier roman très prometteur d'une auteure surdouée, Les infâmes séduit donc par le portrait chargé d'émotions d'une femme blessée, un peu dans la lignée de la Marianne de Karine Giébel dans Meurtres pour rédemption, ou de la Libby de Gillian Flynn dans Les lieux sombres. Ce roman noir séduit aussi par l'écriture viscérale, et brut de décoffrage de Jax Miller. Un style à fleur de peau, qui sert un récit sombre et nerveux. Certaines scènes sont très dures, accrochez-vous! Enfin, les cinquante dernières pages du roman atteignent parfois des sommets en terme de suspense et d'intensité dramatique. Et le final "corral" est noir comme le cauchemar. Un roman frontal à plus d'un titre !

Jax Miller, Les infâmes, J'ai lu, 448 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claire-Marie Clévy, sorti en 2015 en France. 

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lundi 9 mai 2016

Maboul Kitchen, de Nadine Monfils


"Plus que le pognon dont elle n'avait jamais été l'esclave, Cornemuse aimait foutre la pagaille. S'éclater était son but principal et l'avait toujours été. Au cours de sa vie tumultueuse, elle avait vogué entre la pauvreté et la richesse, prouvant que bien mal acquis profite souvent. Mais elle était capable de tout plaquer pour rester libre. Ni Dieu ni maître, comme Carmen Cru. Et pas de morale non plus. Enfin, elle avait la sienne. Une sorte de logique à l'envers. Un peu pareille à un vieux réveil qui continue à faire tic-tac mais qui ne donne jamais l'heure exacte."

Cette phrase du livre résume parfaitement la personnalité de Mémé Cornemuse, sorte de Tatie Danielle en plus thrash, L'anti-héroïne de Nadine Monfils, que l'on retrouve avec grand plaisir dans une cinquième aventure: Maboul kitchen

Après avoir été éconduite par JCVD dans le précédent opus, Mémé goes to Hollywood (mon préféré de la série d'ailleurs), l'octogénaire s'échappe de l'asile en compagnie d'un baron en fin de vie, qui prétend posséder un véritable palais. Mémé Cornemuse y voit l'occasion de se faire plein d'argent pour partir en Californie, au royaume des gens botoxés qui restent éternellement jeunes. Sauf que le palais est en réalité une ruine située dans le trou du cul de la France. D'ailleurs le bled en question s'appelle Saint-Amand-sur-Fion ! 

Si vous avez le moral dans les chaussettes, je connais un très bon remède, ça s'appelle lire un roman de Nadine Monfils. A la première page, on esquisse un sourire. A la deuxième, on rigole. A la troisième, on rigole encore plus. Et après c'est sauve qui peut. Avec une formidable énergie créatrice, Nadine Monfils entraîne tous ses personnages dans un tourbillon d'aventures drôlissimes et surtout totalement déjantées. C'est politiquement incorrect, c'est plein d'humour (belge) potache et irrévérencieux à souhait.

Enfin, comme à son habitude, l'auteure survoltée tourne en ridicule la bigoterie, la morale bien-pensante et les people de la télé-réalité. Avec notamment une séquence culte avec Moundir, l'aventurier de l'amour! Mais surtout, Maboul Kitchen est une ode aux plaisirs de la vie, et la vie, on la souhaite longue à Nadine Monfils.

Nadine Monfils, Maboul Kitchen, Pocket, 224 pages, sorti en 2015.

Du même auteur sur ce blog:
Mémé goes to Hollywood

lundi 2 mai 2016

Comme une flamme blanche, de James Grady


Captivant, intelligent et visionnaire, tels sont les mots qui me viennent de suite à l'esprit alors que je viens de terminer ce très bon polar politique. Captivant parce que James Grady excelle dans l'art d'échafauder des intrigues à la fois complexes et passionnantes, et de camper des personnages forts et crédibles. Comme une flamme blanche ne déroge pas à la règle bien au contraire. C'est une histoire stupéfiante mettant en scène des personnages hors normes, qui vont devoir déjouer un complot destiné à éliminer un futur candidat noir à l'élection présidentielle. Pour cela, deux agents du FBI, et un inspecteur de police, vont parcourir le pays tout entier pour arrêter un redoutable serial killer, qui semble avoir été "instrumentalisé" par un traître au sein même de l'équipe de campagne du candidat. 

La tension est extrême, et ce formidable écrivain qu'est James Grady prend un malin plaisir à jouer avec nos nerfs jusqu'au dénouement final de toute beauté. 

Intelligent, car James Grady nous enseigne les mécanismes sous-jacents du pouvoir américain. Une sphère politique que l'auteur connaît très bien pour l'avoir côtoyée de très près, de par son métier de journaliste d'investigation politique. On apprend toujours des choses passionnantes dans un roman de James Grady. L'intelligence et la subtilité résident également dans l'écriture visuelle et détaillée de l'auteur, et dans le fait que celui-ci ne noie pas le lecteur dans d'interminables explications sur ce qu'il se passe dans le roman. Non, Grady fournit juste ce qu'il faut d'informations pour une bonne compréhension du récit, mais le lecteur doit mouiller un peu le maillot, et relier lui-même les points entre eux. Bref réfléchir un minimum. Tout ne lui est pas prémâché !

Visionnaire, car l'action du roman se déroule au début des années 90, et James Grady évoque, avec une incroyable lucidité, l'utilisation croissante d'Internet et ses conséquences sur le monde. L'auteur anticipe les effets néfastes qu'Internet risque d'avoir sur les sociétés, notamment parce que la diffusion d'idéologies contraires aux principes démocratiques va s'en trouver fortement facilitée. 

Enfin, Comme une flamme blanche est également une ode à la tolérance, à l'ouverture d'esprit, et au rassemblement des communautés. L'auteur exalte la liberté, la dignité, et l'intelligence sous toutes ses formes, avec une appréciable foi humaniste. Tout en offrant à ses lecteurs un polar impitoyable, plein de suspense et de rebondissements. 

James Grady, Comme une flamme blanche, Rivages, 512 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, sorti en 1996 (Etats-Unis) 1998 (France)

Du même auteur sur ce blog:
Tonnerre
Mad dogs

dimanche 1 mai 2016

Les impliqués, de Zygmunt Miloszewski


Si tous les auteurs de polars polonais sont aussi bons que Zygmunt Miloszewski, le roman policier dans ce pays a de quoi voir venir ! Quelle claque ce livre, mélange explosif de suspense sanglant, roman noir social, et thriller politique. 

Varsovie, 2005: un psychiatre réputé invite quatre de ses patients à participer à une thérapie collective dans un ancien monastère, le temps d'un week end. Au programme, huit clos et jeux de rôles, qui constituent les bases d'une thérapie appelée "Constellation familiale". Sauf que le séminaire dégénère, l'un des patients est assassiné. C'est le procureur Teodore Szacki, qui hérite de l'enquête. Il n'est pas au bout de ses peines! Le pauvre Teodore va devoir plonger dans le passé trouble de la victime, déterrant ainsi des secrets très dérangeants pour certaines personnes. 

Les impliqués séduit par l'écriture pleine de vitalité de ce jeune écrivain polonais, et par la personnalité de Teodore Szacki. C'est un thriller dépaysant, plein d'énergie, et totalement abouti. Zygmunt Miloszewski tisse donc une toile machiavélique, tordue. C'est bien écrit, bien mené, et le rebondissement final est totalement inattendu. L'écriture est alerte, percutante, l'auteur a le sens du détail et du suspense. Et surtout il y a beaucoup d'humour dans ce polar, malgré certains passages franchement noirs. 

Mais la vraie star de ce roman est son personnage principal Teodore Szacki. Un procureur de la république droit, intègre, au service de la vérité et surtout de la justice. Un homme tenace, qui fera tout pour découvrir qui a tué le patient du mystérieux docteur Rudzki. Mais également un père de famille trentenaire qui promène un regard désabusé sur le monde qui l'entoure, et qui cherche un sens à sa vie. Finalement, quelqu'un de très humain auquel on peut s'identifier. 

Enfin, à travers les réflexions acerbes de son personnage, l'auteur en profite pour dresser un constat lucide, parfois cynique, sur la Pologne d'aujourd'hui. Un pays en pleine mutation économique et sociale, mais qui n'a pas complètement réglé ses comptes avec son passé. Le spectre du régime totalitaire soviétique hante encore les esprits de toute une population.  

Zygmunt Miloszewski, Les impliqués, Pocket, 480 pages, Traduit du polonais par Kamil Barbarski, sorti en 2007 (Pologne) 2013 (France)

Du même auteur sur ce blog: