mercredi 29 juin 2016

Odessa Beach, de Bob Leuci


L'immense Bob Leuci est mort en octobre dernier, et laisse derrière lui trois chefs d'oeuvre de la littérature policière américaine: L'Indic, Captain Butterfly, et Odessa Beach, que je viens de terminer. Une histoire puissante de flics et de gangsters dans le New York crépusculaire des années 80. Une fiction terrifiante que l'auteur nourrit d'une réalité qu'il a côtoyée de très près. En effet, Bob Leuci a longtemps été inspecteur dans un service d'élite qui s'occupait du trafic de drogue. Un long vécu qui lui a permis ensuite de pouvoir raconter des histoires plus vraies que nature. Mais Bob Leuci est également un écrivain de talent, qui sait captiver son lecteur, camper des personnages forts, et échafauder des scénarios percutants et diablement efficaces. Le style d'écriture est économe, direct, frontal !

Odessa Beach raconte l'ascension d'un gangster russe émigré à New York. Cette histoire à la Scarface permet à l'auteur de rendre compte de la mutation du quartier juif de Brooklynn, surnommée Odessa Beach après la vague d'immigration soviétique. Ce que j'ai aimé, c'est que l'auteur ne verse jamais dans le cliché, ou dans le manichéisme. Bob Leuci dresse un constat cru et sans concesssion d'un monde impitoyable, où l'argent est roi. Enfin, ce roman très noir séduit par le portrait d'Alex Simon, le double littéraire de l'auteur: un flic habité par son métier, qui porte un regard lucide et désenchanté sur un environnement complexe, où la frontière entre le bien et le mal est de plus en plus floue, qu'on soit du côté des policiers ou du côté des mafieux. La fin - Gagner de l'argent, et survivre - justifie tous les moyens: magouilles, chantages, trahisons, meurtres, deal avec le FBI. Tout ça n'est qu'un jeu dangereux ... et truqué bien sûr ! 

Odessa Beach est donc une histoire effrayante, tragique, mettant en scène des personnages plus vrais que nature. Un véritable chant funèbre sur un monde de démence et de sang. Le portrait sans concession d'une grande ville américaine gangrenée par la drogue, la misère et la violence. Certaines scènes du livre atteignent des sommets d'intensité dramatique. Petit extrait, histoire de vous metttre dans l'ambiance: " - Un jour, ils vont venir pour vous. Peu importe ce qu'ils ont promis, peu importe ce qu'ils ont dit, au bout du compte ils s'allieront et ils viendront pour vous. Ils se retournent les uns contre les autres, ils se mentent, ils se trahissent les uns les autres, alors vous, ils n'auront aucun scrupule à vous tuer."

Bob Leuci, Odessa Beach, Rivages, 368 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Annie Hamel, sorti en 1985 (Etats-Unis) 1994 (France)

Du même auteur sur ce blog:
Captain Butterfly ; L'Indic

Je vous conseille aussi:
Sous la menace, Reggie Nadelson
Le ventre de New York, Thomas Kelly
De loin on dirait des mouches, Kike Ferrari 
Les chiens du désert, T. Jefferson Parker

jeudi 23 juin 2016

L'inconnue du bar, de Jonathan Kellerman


L'inconnue du bar est la 26ème enquête du duo Delaware/Sturgis, la 16ème en ce qui me concerne. Si, tout comme moi, vous êtes un fan de cette série policière, allez-y les yeux fermés, régalez-vous, vous ne serez pas déçus. En effet, ce nouvel opus réunit tous les ingrédients qui font le succès de cette série depuis maintenant plus de trente ans: un meurtre inexpliqué, et le duo de choc constitué du psychologue Alex Delaware et de l'inspecteur Milo Sturgis, qui mène l'enquête sur la base d'interrogatoires minutieux. Beaucoup de dialogues, de psychologie, de déductions, et de recoupements qui vont permetttre à nos deux limiers de résoudre le(s) crime(s), et de démasquer le(s) coupable(s). Sherlock Holmes et Docteur Watson version californienne. Oui, le théâtre des opérations est toujours le même: Los Angeles, la ville du crime. 

Nos deux compères se connaissent par coeur, la mécanique est parfaitement huilée, rien ne peut résister à leurs méthodes d'investigation infaillibles. Par contre, pour toi lecteur qui n'a pas encore lu un whodunit de Jonathan Kellerman, je te conseille vivement de passer ton chemin. Si tu veux découvrir cette série policière, je te conseille plutôt de commencer par les opus suivants: Chair et sang, Comédies en tout genre, ou encore Les tricheurs, qui précède d'ailleurs L'inconnue du bar. Cette 26ème enquête n'est donc pas le meilleur cru de l'auteur: le thème central - les sites de rencontres sur Internet- est classique, et l'intrigue sent quand même un peu le réchauffé. 

Mais voilà, quand on est accroc, on est accroc, c'est donc difficile pour moi d'être objectif avec Kellerman. Je prends toujours autant de plaisir à lire ses whodunits. C'est bien écrit, c'est bien fichu, même si ça ne casse pas toujours des briques côté intrigue. Kellerman est un dialoguiste de talent, et montre une maîtrise impressionnante dans la conduite de son récit: sens du détail et du suspense, indices savamment distillés, et beaucoup d'humour. Dans cet opus, l'auteur égratigne de manière très cynique l'amour sur le net, et a imaginé une parodie de site, où des "papas gâteaux" peuvent rencontrer des "petites chéries". Sauf que l'une des petites chéries en question est sauvagement assassinée.... Au final, pas le meilleur roman de l'auteur, mais un polar de gare sympa, et sans prise de tête.

Jonathan Kellerman, L'inconnue du bar, Points, 408 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Frédéric Grellier, sorti en Etats-Unis (2011) France (2014)

Du même auteur sur ce blog:

samedi 18 juin 2016

Ballet d'ombres à Balboa, de Jack Trolley


Loin de moi l'idée de faire de la réclame pour tel ou tel éditeur, ce blog est totalement indépendant. Mais la collection Rivages thriller (grands formats) et la collection Rivages noir (livres de poche) sont parmi les plus complètes en matière de polar américain. François Guérif, le directeur de ces deux collections, peut être fier de ce qu'il a fait, et de ce qu'il continue à faire. On y trouve des auteurs connus tels que James Ellroy, Dennis Lehane, et James Lee Burke, des auteurs un peu moins connus mais très bons comme William Bayer, Craig Holden, ou encore Mark Haskell Smith. Et des étoiles montantes comme Emily St-John Mandell ou Sean Doolittle. Et moi qui suis fan des polars d'atmosphère américains des années 80-90, je suis servi, car ces collections regorgent de véritables pépites, de chefs d'oeuvre à dévorer d'urgence: Il faut tuer Suki Flood de Robert Leininger, Ici commence l'enfer de John Ridley, ou Captain Butterfly de Bob Leuci. Enfin, on y trouve des "one-shots" écrits par des auteurs peu connus, des polars d'atmosphère très ancrés culture US, dont l'action se déroule dans un microcosme précis, souvent un comté (Orange dans Le Rideau orange de John Shannon,) une ville ( Chicago dans Le point limite de John Wessel) ou même un quartier, comme Balboa (ville de San Diego, Californie du sud) dans Ballet d'ombres à Balboa, pur polar d'atmosphère américain des années 90.

Jack Trolley nous ouvre donc une minuscule fenêtre spatio-temporelle, qui permet de plonger dans le San Diego des années 90. Le sergent Donahoo, personnage principal du roman auquel vous vous attacherez immédiatement, reçoit une lettre anonyme qu'il décide de prendre très au sérieux. L'expéditeur du message menace de faire sauter l'aéroport de la ville. Pourquoi ? Parce que cet aéoport est situé juste à côté de Balboa Park, quartier autrefois prospère de la ville. Mais de plus en plus déserté à cause du bruit insupportable des avions qui le survolent en permanence. Si l'aéroport n'est pas déplacé dans les six mois, le terroriste promet un véritable carnage. Donahoo doit donc s'activer pour démasquer ce mystérieux corbeau. Pour ce faire, il va devoir s'immerger dans un quartier en pleine mutation, peuplé de personnages plus ou moins sympathiques !

Ballet d'ombres à Balboa commence donc comme un whodunit de facture classique, mais très vite, sort des sentiers battus, et devient un mélange de polar humoristique et de roman noir urbain. Un polar de quartier pétri d'humanité où les destins s'enchevêtrent pour le meilleur et pour le pire. Un livre plus centré sur les comportement humains que sur l'enquête policière. En outre, Jack Trolley sait raconter une histoire, et son écriture est pleine de vitalité. Ballet d'ombres à Balboa n'est donc pas un fast and furious page turner plein de rebondissements improbables. Non, c'est plutôt un polar d'atmosphère s'appuyant sur des personnages attachants et plus vrais que nature. Un polar intelligent qui retranscrit parfaitement les mutations sociales et urbaines pouvant survenir dans une ville américaine. Un livre atypique  qui se savoure tranquillement, sans se presser.

Jack Trolley, Ballet d'ombres à Balboa, Rivages, 300 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Stéphane Carn, sorti en 1994 (Etats-Unis) 2001 (France)

Je vous conseille aussi:
Le Rideau orange, John Shannon
Le point limite, John Wessel

lundi 13 juin 2016

Savages, de Don Winslow


"Chon avait toujours su qu'il existait deux mondes distincts: les sauvages. Et les moins sauvages. Le sauvage est le monde du pur pouvoir primitif, survie des mieux adaptés, cartels de la drogue et brigades de la mort, dictateurs et hommes de main, attaques terroristes, guerres des gangs, haines tribales, assassinats en masse, viols en masse. Le moins sauvage est le monde du pur pouvoir civilisé, gouvernements et armées, multinationales et banques, choc et effroi en écrasant l'adversaire par une puissance de feu très supérieure, mort-venue-du-ciel, génocide, viol économique en masse. Et Chon sait que... c'est le même monde". Voilà qui donne le ton du livre, mélange hallucinant de polar décalé et de roman noir. Tour à tour drôle, triste, violent, cynique, tendre. Avec à la baguette un auteur survolté qui déménage.

Savages est donc une histoire de gangsters, version Californie Peace and Love. Enfin.. le Peace and Love, c'est au début de l'histoire seulement. Au début, tout va bien pour Ben, Chon et O (O est une fille!): Nos trois compères se la coulent douce sous le soleil. Ben et Chon sont comme deux frères. Ils partagent la même herbe et la même copine, en l'occurence O. Et surtout, ils produident et vendent la meilleure herbe de toute la Californie. Une success story à l'américaine, qui va prendre fin, quand un cartel mexicain décide de s'approprier l'herbe. Un deal à sens unique: vous travaillez pour nous, ou vous êtes morts. Histoire d'aider un peu plus Ben et Chon dans leur choix, le cartel kidnappe O. La guerre est déclarée. Et là c'est sauve-qui-peut. Le roman devient alors un chant funébre sur un monde de démence et de sang, jusqu'au final, noir comme le cauchemar. 

Savages est un livre à grand spectacle, une bombe textuelle survitaminée menée à un rythme d'enfer: des chapitres courts, qui ne laissent aucun répit au lecteur,  des dialogues à la fois laconiques et truculents, un style d'écriture branché, économe, cru, brut de décoffrage. Mais une histoire franchement noire malgré son côté déjanté. Et un auteur qui porte un regard acéré, voire désabusé sur son époque. En effet, Don Winslow ne nourrit plus aucune illusion sur l'espèce humaine en générale, et l'Amérique en particulier.

Don Winslow, Savages, Le Livre de Poche, 408 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Freddy Michalski, sorti en 2010 (Etats-Unis) 2011 (France)

Du même auteur sur ce blog:
La griffe du chien ; Corruption

Je vous conseille aussi:
Défoncé, Mark Haskell Smith
La Daronne, Hannelore Cayre
De loin on dirait des mouches, Kike Ferrari 

mercredi 8 juin 2016

Marilyn X, de Philip Le Roy


Je suis un grand fan de Philip Le Roy, j'aime beaucoup son style d'écriture, sa façon de raconter une histoire, son univers très riche. Alors je me suis dépêché de me procurer son nouveau roman, sorti le mois dernier en librairie. Cette fois-ci l'auteur s'attaque à l'un des plus grands mythes des temps modernes: Marilyn Monroe. Un pari osé pour l'auteur, qui signe un roman noir historique de tout premier ordre. Un roman assez court, mais qui m'a captivé du début à la fin. Il faut dire que le potentiel romanesque est fort, c'est le moins que l'on puisse dire. 

2012: un couple de français traverse l'Amérique en voiture, et finit par se perdre au milieu des terres ancestrales des Navajos. Nos deux aventuriers se retrouvent devant une maison incendiée, et découvrent à l'intérieur les restes d'un cadavre, ainsi que des carnets partiellement brûlés. Le couple se met à lire le journal intime d'une personne ayant côtoyé de très près une certaine ... Marilyn Monroe. Et encore plus dingue, ce journal révèle que la star serait toujours en vie cinquante ans après sa mort officielle en 1962. Marilyn aurait mis en scène son suicide afin de quitter le monde impitoyable des puissants de son époque.

S'appuyant sur un fond documentaire très solide, Philip Le Roy brosse un roman noir historique érudit, et surtout bluffant de bout en bout. A travers la vie tragique de Marilyn Monroe, l'auteur nous dévoile tout un pan peu glorieux de l'histoire américaine sous l'ère Kennedy. Ce n'est pas l'histoire enseignée dans les livres scolaires. Non, la réalité de l'époque était beaucoup, beaucoup plus sombre! Certaines scènes du livre sont à la limite du supportable, notamment le viol de Marilyn Monroe au célèbre Cal Neva Lodge, qui appartennait à l'époque à un certain Frank Sinatra.

Enfin, l'intrigue pleine de suspense et de rebondissements est un prétexte pour rendre un vibrant hommage à Marilyn Monroe, une jeune femme trop gentille pour pouvoir survivre dans un monde de vautours. Marilyn tel un papillon fragile qui se brûle les ailes au contact des puissants de l'époque. Par puissants, comprenez des politiciens, des mafieux, et des vedettes du showbiz. Philip Le Roy fait très bien ressortir ce qui a pu pousser la star à mettre fin à ses jours. Ou à fuir vers les terres des Navajos, afin d'y retrouver une certaine pureté. Philip Le Roy, passionné par les indiens d'Amérique, nous donne envie de croire à cette résurrection de Marilyn, qui méritait certainement d'avoir une seconde vie pleine de bonheur. Un thriller à la fois tendre et violent, dur et émouvant.

Philip Le Roy, Marilyn X, Le cherche midi, 272 pages, sorti en 2016.

Du même auteur sur ce blog:
Pour adultes seulement

Je vous conseille aussi:
Vie et mort de Miss Faithfull