vendredi 29 juillet 2016

À mains nues, de Paola Barbato


Davide Bergamaschi, jeune adolescent ordinaire, est enlevé et séquestré par une mystérieuse organisation, qui organise, entre autres, des combats d'hommes clandestins. Davide devient Batiza, ce n'est plus un jeune homme promis à une vie normale, mais un chien, un chien de combat promis à la mort.

"Par ailleurs, comme l'avait prédit son maître, avec le temps, il était de moins en moins chamboulé par les combats. Il n'acceptait pas encore l'idée de tuer, mais tout ce qui se passait avant prenait du sens. Minuto avait raison: il se limitait à faire ce qui était nécessaire, il n'y mettait aucune cruauté, il ne satisfaisait pas de la douleur qu'il provoquait, il essayait d'aller vite, de conclure en portant le moins de coups possibles. Dans sa tête, un écran se créait progressivement, une sorte d'autodéfense qui excluait certains canaux émotionnels ne faveur de la partie rationnelle". Cet extrait du livre résume pour moi l'essence même de ce thriller, tant sur le fond que sur la forme. Attention, âmes sensibles s'abstenir, il faut avoir l'estomac bien accroché pour lire ce thriller sanglant, terrifiant, choquant (certaines scènes sont à la limite du supportable), et noir comme le cauchemar. Fight Club en plus désespéré. (si si c'est possible !!)

Sur le fond, À mains nues est un roman choc qui ne vous laissera pas indifférent. L'atmosphère est angoissante, oppressante, dérangeante. Paola Barbato décrit le terrifiant processus de déshumanisation d'un individu. Dans les première pages, Davide était un adolescent de seize ans heureux, plein de vie, insouciant, innocent. Deux cent pages plus tard, Davide n'est plus. Davide s'est transformé en Batiza, véritable machine à tuer, un assassin dénué de toute émotivité. Un chien assujetti à son maître, le terrifiant Minuto, véritable "éleveur d'assassins". Un chien emprisonné dans un endroit isolé, en compagnie d'autres chiens. 

Sur la forme, Paola Barbato signe un thriller totalement abouti, puissant, très bien écrit. Un style syncopé, économe, précis, fait de phrases courtes assénées tels des uppercuts foudroyants. Une auteure surdouée qui montre une maîtrise impressionnante dans la conduite de son récit, entraînant son lecteur dans un vortex de terreur. Chaque page du livre réserve son lot de surprises, et plus on avance dans l'histoire, plus on en apprend sur l'organisation qui a enlevé Davide, et plus on s'enfonce dans l'horreur. Il y a du suspense et des rebondissements, jusqu'au final digne des meilleurs polars du genre. Avec un ultime rebondissement à la Shutter island, qui m'a complètement bluffé! Au final, un polar ultra violent, éprouvant, et difficile à oublier. Et une auteure qui ne nourrit plus aucune illusion sur l'espèce humaine. Enorme coup de coeur ! 

Paola Barbato, À mains nues, J'ai lu, 540 pages, traduit de l'italien par Anaïs Bokobza, sorti en 2008 (Italie) 2014 (France)

Je vous conseille aussi:
Criminal loft, Armelle Carbonel
Meurtres pour rédemption, Karine Giébel
En douce, Marin Ledun
Captifs, Kevin Brooks


lundi 25 juillet 2016

Pandemonium, de Les Standiford


Feu Tony Hillerman avait qualifié ce thriller écologique comme étant "atroce, prenant et implacable". Après avoir lu ce classique du roman-catastrophe, je ne peux que partager son analyse.

"Atroce", oui, complètement, terriblement même, car le scénario catastrophe imaginé par l'auteur fait froid dans le dos. Surtout, on se dit que ça pourrait arriver, que c'est plausible. Années 80, Etat américain du Wyoming: officiellement, la compagnie pétrolière PetroDyne a arrêté la fabrication et le transport d'armes chimiques et bactériologiques. Officieusement, rien ne s'est arrêté, pas question pour la première puissance mondiale de perdre de l'avance sur les russes, guerre froide oblige. Et donc ce qui devait arriver finit par se produire: un camion de la compagnie transportant un virus potentiellement dangereux sort d'une route et s'écrase au bord d'une rivière qui traverse le parc national du Yellowstone. Un accident qui expose toute une population, voire la planète entière, à un risque énorme de diffusion de produits néfastes. Pandemonium peut alors commencer !

"Il courut en direction de la forêt, à moins de cinq cent mètres au sud, percevant de moins en moins distinctement les pas des hommes à sa poursuite, perdus dans le lointain. Jamais il ne s'était senti aussi vivant." "Prenant", oui, Les Standiford orchestre avec brio une course-poursuite haletante, au milieu des paysages magiques du plus grand parc naturel américain. Redonnant ainsi toutes ses lettres de noblesse à la nature. Et véhiculant aussi un appréciable message écologique. Le récit, tendu à l'extrême, est mené avec une dextérité hors du commun. 

Enfin, "implacable", car personne ne se fait de cadeau dans ce roman impitoyable, mélange de suspense sanglant et de thriller politique. La compagnie pétrolière, aidée du gouvernement, met tout en oeuvre pour contenir l'épidémie. Le but n'est pas de sauver des gens, mais d'étouffer un scandale et de pouvoir continuer ses activités illégales. Une bien triste réalité. En outre, le style d'écriture froid, clinique, percutant de Les Standiford colle parfaitement au côté implacable du récit. L'auteur démontre tout son talent pour huiler parfaitement cette véritable mécanique de précision, et camper des personnages qui ont du caractère, du chien: les gentils sont très attachants, et les méchants sont vraiment très très méchants, notamment le tueur chargé du sale boulot. Ultra violent, Pandemonium est au final un polar nerveux, et charpenté, qui dévoile une réalité terrifiante. Un polar des années 80 comme on n'en fait plus !

Les Standiford, Pandemonium, Rivages, 336 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Olivier Schwengler, sorti en 1990 (Etats-Unis) 1992 (France)

Je vous conseille aussi:
L'ombre de Gray Mountain, John Grisham

mercredi 13 juillet 2016

Écorces de sang, de Tana French


"Je levais les yeux vers la fenêtre de ma chambre et, tout d'un coup, le déclic se fit: j'avais vécu ici. Les matins d'école, j'avais franchi cette porte en courant, mon cartable sur le dos. je m'étais penché à cette fenêtre pour interpeller Peter et Jamie, j'avais appris à marcher dans ce jardin. J'avais arpenté cette rue à bicyclette, jusqu'au moment où, tous les trois, nous avions franchi le mur pour nous enfoncer dans les bois." Trois gamins de banlieue inséparables passent leurs étés à jouer dans ces bois qui bordent un lotissement en apparence paisible. Un jour, Peter et Jamie ne ressortent pas des bois, et Adam, le narrateur de ce livre, y est retrouvé vivant, mais en état de choc. Il ne se souvient de rien. Les deux autres gamins ne seront jamais retrouvés. Que s'est-il passé dans ces bois maléfiques ? 


Vingt ans plus tard, Adam a changé d'identité, il est devenu flic, et il est toujours hanté par ce drame qui façonne sa vie jour après jour. Comme si lui aussi n'était jamais vraiment ressorti de ces bois. Et ça ne va pas s'arranger, car une jeune fille y est retrouvée morte. Assassinée. Un meurtre sordide qui révélera une vérité insoutenable.

L'Irlande est une terre très fertile en polars, et en auteurs très talentueux: Ken Bruen, John Connolly, Alex Barclay, Jane Casey, et ma préférée Tana French, auteure du monumental Ecorces de sang. Pour moi, il y a clairement un avant et un après Ecorces de sang  dans le roman policier irlandais. Tana French nous emmène loin, très loin, dans les méandres tortueuses d'une enquête complexe, touffue, pleine de rebondissements, jusqu'au dénouement final, terrible. Ecorces de sang est un mélange subtil de roman d'enquête et de thriller psychologique implacable. En outre, Tana French dresse un constat lucide et sans concession de son Irlande passée et actuelle, notamment sous l'angle socio-économique.

C'est un premier roman, mais d'emblée, Tana French démontre un immense talent pour échafauder de palpitantes intrigues criminelles et camper des personnages forts, et réels. Et aussi des lieux, comme ces bois, qui sont au centre de toute cette histoire. Des bois ténébreux, qui dégagent une atmosphère à la limite du fantastique. La lente progression de la narration, l'art du détail, et une atmosphère noire très nostalgique, font de ce roman sur le poids du passé un incontournable chef d'oeuvre de la littérature policière irlandaise. Un polar puissant, ambitieux et totalement abouti.

Tana French, Ecorces de sang, Points, 576 pages, traduit de l'anglais (Irlande) par François Thibaux, sorti en 2007 (Irlande) 2008 (France)

Du même auteur sur ce blog:

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Les neuf cercles, R.J. Ellory
Cet été-là, Lee Martin

lundi 11 juillet 2016

Ubac, d'Élisa Vix


Que voilà un excellent suspense psychologique, pour l'instant mon thriller français préféré de cette année 2016, qui révèle une auteure très talentueuse. C'est très bien écrit, c'est court, c'est efficace. Aucun temps mort, pas de gras, pas de fioritures, pas de longueurs. Tout est subtilement et efficacement contrôlé de la part d'une auteure qui démontre un réel sens du suspense dans ce thriller "de montagne" totalement abouti. Le roman policier français regorge vraiment de talents, c'est très positif tout ça. L'ubac, c'est le versant sombre d'une station de ski des Alpes, près de Modane. C'est le côté obscur de la vallée. Jamais de soleil, et un froid polaire. Des paysages glaçants. Estelle y vit avec son mari, et son bébé. Une famille unie, heureuse, malgré des conditions de vie difficiles, surtout l'hiver, avec ses tempêtes de neiges. 

Noël approche, un moment qui devrait être festif, jusqu'à ce que débarque la soeur jumelle du mari d'Estelle. Tout de suite, Estelle sent que cette jeune femme n'est pas nette. Un drame terrible se prépare !

Élisa Vix brosse un suspense psychologique nerveux, à l'intrigue taillée au couteau, et dresse le portrait à la fois terrifiant et émouvant d'une mère-courage, qui va tout faire pour protéger les siens. Le roman se situe dans la veine des vrais thrillers qui font peur. Et ce n'est pas un pléonasme, car actuellement, de nombreux romans sont estampillés thrillers, alors qu'ils ne font pas peur du tout. Celui-ci vous donnera la chair de poule, surtout si vous le lisez dans une vieille maison qui grince de partout! Le style d'écriture est limpide, les dialogues sont crédibles et enlevés, le récit est parfaitement maîtrisé, plein de suspense et de rebondissements. Un premier roman très très prometteur, qui permet à cette auteure de faire une entrée fracassante dans le paysage déjà bien fourni du thriller français. Pour les fans de Patricia MacDonald, Lisa Gardner, Karine Giébel, ou encore S.J. Watson. 

Élisa Vix, Ubac, Editions du Rouergue, 192 pages, sorti en 2016.

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