vendredi 28 octobre 2016

La Fille du train, de Paula Hawkins


La fille du train vous connaissez ? Je plaisante bien sûr. Enorme succès commercial en 2015 dans le monde entier, critique unanime, l'adaptation au cinéma qui vient de sortir avec Emily Blunt dans le rôle principal. Bref, THE bestseller monstrueux que tout le monde s'arrache. Même la version poche qui vient de sortir est en tête des ventes. Incroyable succès pour le premier roman de l'anglaise Paula Hawkins.

Alors oui, La fille du train est un grand thriller psychologique, qui rassemble les meilleurs ingrédients du genre: des personnages forts, du suspense, un récit fluide et remarquablement construit, une écriture limpide d'une très grande qualité. La fille du train, c'est le fast and furious book de référence. Une fois qu'on a commencé à le lire, impossible de lâcher prise, on a envie de savoir comment va évoluer cette intrigue diabolique. Paula Hawkins a tissé une toile machiavélique, jusqu'au dénouement final. Un récit à trois voix: trois femmes qui racontent de leur point de vue les mêmes évènements, et dont les destins vont s'enchevêtrer pour le pire.

La fille du train est donc un très bon polar, mais de là à dire que c'est un chef d'oeuvre indispensable, il n'y a qu'un pas que je ne franchirai pas. Je trouve qu'on devine quand même assez rapidement qui est l'amant secret de Megan, et comment celle-ci a été assassinée. Après, c'est toujours à double tranchant lorsqu'on lit un livre qui a connu un immense succès. Tout le monde vous dit: "mais attends, tu n'as toujours pas lu La fille du train, mais qu'attends-tu mon ami? C'est LE thriller à ne pas manquer!" On s'attend donc à un choc, on place la barre très (trop?) haut, et du coup on prend le risque d'être déçus. Je n'irai pas jusqu'à dire que j'ai été déçu, mais je n'ai pas été bluffé non plus. Au final, un très bon thriller, bien fichu, qui révèle une auteure de talent, capable de tisser des drames contemporains avec une remarquable finesse psychologique. Un très bon polar, mais pas non plus le choc escompté. 

Paula Hawkins, La Fille du train, Pocket, 456 pages, traduit de l'anglais par Corinne Daniellot, sorti en 2015 (Royaume-Uni et France)

Du même auteur sur ce blog:
Au fond de l'eau

Je vous conseille aussi:
La faute, Paula Daly
Avant d'aller dormir, S.J. Watson
Tout n'est pas perdu, Wendy Walker
La fille d'avant, JP Delaney
L'oubli, Emma Healey
La femme à la fenêtre, A.J. Finn

mercredi 19 octobre 2016

Ville noire ville blanche, de Richard Price


Ville noire ville blanche appartient à cette catégorie de romans qui mettent l'accent sur la critique sociale. L'intrigue criminelle est quand même présente: New York dans les années 90, une jeune femme blanche arrive totalement en état de choc dans un hôpital, et raconte que sa voiture a été volée. En apparence, une agression banale comme il en survient malheureusement tous les jours dans une banlieue new-yorkaise en proie à la misère et à la violence. Sauf que dans la voiture, il y avait aussi le petit garçon de cette jeune femme blanche. Et comme si ça ne suffisait pas, celle-ci affirme que l'agresseur était noir. De quoi exacerber des tensions déjà bien présentes entre les communautés. Mais pour corser le tout, l'inspecteur en charge de l'enquête se rend vite compte que la jeune femme ne dit pas toute la vérité. Son récit comporte de nombreuses incohérences. 

Ce que l'inspecteur va découvrir, c'est une bien triste réalité, un chant funèbre sur un pays qui n'a toujours pas réglé ses problèmes sociaux. Vous l'aurez compris, l'intrigue sert de prétexte au grand Richard Price pour dresser un constat réaliste, et surtout sans concession sur les problèmes des banlieues en Amérique. Racisme, misère, pauvreté, violence, inégalités sociales: un cocktail empoisonné qui a notamment conduit aux tristement célèbres émeutes de Los Angeles en 1992. Avec comme déclencheur l'acquittement des policiers accusés d'avoir passé à tabac le noir Rodney King, après une course-poursuite pour excès de vitesse. Dans Ville noire ville blanche, l'action se déroule dans la banlieue de New York, mais les problèmes sont les mêmes qu'à Los Angeles. Et le déclencheur, c'est l'agression d'une jeune mère de famille blanche par un homme noir. 

Ville noire ville blanche est donc un roman très sombre, qui dévoile une réalité déchirante, et qui dégage une grande puissance: une intrigue taillée au couteau, des personnages forts et surtout réalistes, une écriture sèche, nerveuse, impitoyable. Un roman urbain engagé, tendu, dénonçant le racisme et les inégalités sociales qui gangrènent une société communautariste. Un véritable cri d'alarme poussé par l'auteur. Ville noire ville blanche est désormais un classique incontournable du roman noir qui confirme tout le talent de Richard Price pour raconter des histoires fortes, engagées, et profondément ancrées dans la réalité sociale des banlieues américaines. Un chef d'oeuvre incontesté de la littérature américaine.

Richard Price, Ville noire ville blanche, 10/18, 624 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacques Martinache, sorti en 1998 (Etats-Unis et France)

Je vous conseille aussi:
Un dernier verre avant la guerre, Dennis Lehane
911, Shannon Burke
Captain Butterfly, Bob Leuci
Anacostia river blues, George Pelecanos
Chicago en flammes, Eugene Izzi
Le bûcher des vanités, Tom Wolfe
L'enfant invisible, Cornelia Read
Corruption, Don Winslow

Coronado, de Dennis Lehane


"Une lueur révélatrice d'une capacité de vivre avec intensité, de prendre chaque moment - aussi modeste ou insignifiant soit-il - et de le presser afin d'ne extraire toute la substance jusqu'à la dernière goutte. Jewel Lut dévorait la vie, y plongeait tête la première comme dans un lac de montagne par la plus chaude journée de l'année." C'est ça le style Lehane, des mots forts qui se connectent directement à votre cerveau. Lehane est un écrivain, capable de vous embarquer dès la première phrase dans ses histoires, pour ne plus vous lâcher.

Coronado se compose de cinq nouvelles noires de l'auteur, ainsi que de sa première pièce de théâtre, qui est une extension singulière et profondément touchante de la nouvelle Avant Gwen. Cette pièce met en lumière deux grandes forces de l'auteur: une capacité à créer des scènes atteignant des sommets d'intensité dramatique, et des dialogues percutants. Bien sûr, on retrouve aussi dans les cinq nouvelles tout ce qui fait le charme de l'auteur: des intrigues remarquablement construites, des personnages forts, et toujours cette réflexion sur la nature humaine. Des histoires qui privilégient la dureté des rapports humains à l'intrigue criminelle. Il y a de la densité, de la profondeur, et bien sûr de la noirceur dans ces nouvelles.

Au final, Coronado n'est certes pas l'opus  le plus connu de l'auteur, qui a écrit de nombreux chefs d'oeuvre: Un dernier verre avant la guerre, Shutter Island, Mystic River, Un pays à l'aube. Des romans noirs qui sont définitivement entrés dans l'histoire du roman policier. Mais Coronado permet de découvrir une autre façette du plus grand écrivain américain vivant de romans noirs: la capacité d'écrire aussi des histoires courtes mais intenses. Des récits pétris d'humanité. Pour le meilleur et pour le pire! Avec en apothéose une pièce de théâtre riche en émotions et en rebondissements. Longue vie à toi Dennis !

Dennis Lehane, Coronado, Rivages, 256 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Maillet, sorti en 2006 (Etats-Unis) 2007 (France)

Du même auteur sur ce blog:
Un dernier verre avant la guerre
Shutter Island

Je vous conseille aussi:
Roberto Zucco, Bernard-Marie Koltès


jeudi 13 octobre 2016

La peine capitale, de Santiago Roncagliolo


L'action de ce polar historico-politique se déroule principalement à Lima, la capitale du Pérou, pendant la coupe du monde 1978. Ce polar vit donc au rythme des matchs de l'équipe nationale péruvienne engagée dans la compétition, qui se déroule en Argentine. 1978 est une année charnière pour le Pérou: la fin de la dictature militaire et le début de la démocratie avec l'organisation d'élections pour que la population choisisse son propre gouvernement. Le Pérou fait figure d'exception, car tous les pays voisins sont encore dirigés par les militaires. Notamment l'Argentine. Le jeune assistant-archiviste Félix Chacaltana Saldivar baigne depuis tout petit dans l'ordre et la discipline, donc fatalement, l'imprévu et le changement, il n'aime pas. Sa vie est réglée comme une horloge suisse. 

Malheureusement, le pauvre Félix va se retrouver embarqué bien malgré lui dans une sordide histoire de meurtres et de complots, avec en prime un voyage terrifiant en terre argentine. Santiago Roncagliolo signe un très bon polar qui dévoile tout un pan de l'histoire sud-américaine. Le pan obscur, peu glorieux: des dictatures militaires qui s'entraident dans l'horreur, traquant et éliminant les "subversifs", c'est-à-dire les opposants aux régimes. Pauvre Félix: Candide au milieu des requins. L'apprentissage de la vérité va être dur pour ce modeste fonctionnaire, qui travaille dans le sous-sol poussiéreux des archives du palais judiciaire. Aux ordres d'un chef paresseux et alcoolique qui passe son temps à parler football, alors que Félix n'aime pas le football. 

La peine capitale est donc un mélange réussi de whodunit, roman noir historique, et thriller politique. Il y a également beaucoup d'humour dans ce livre, malgré un contexte lourd, chargé de faits historiques terrifiants. On suit avec beaucoup de plaisir les déboires sentimentaux et professionnels de l'attachant Félix, personnage pétri d'humanité, et finalement plus complexe qu'il n'y paraît. Sur la forme, l'écriture de l'auteur est limpide: un style simple, au service d'un récit fluide, remarquablement construit. Santiago Roncagliolo s'impose, avec La peine capitale, comme un auteur de polars de tout premier ordre. Le final est très réussi, chargé en émotions.

Santiago Roncagliolo, La peine capitale, Métaillié, 384 pages, traduit de l'espagnol (Pérou) par François Gaudry, sorti en 2014 (Espagne) 2016 (France)

Je vous conseille aussi:
Condor, Caryl Férey
Mala Vida, Marc Fernandez

mercredi 5 octobre 2016

Le coma des mortels, de Maxime Chattam


"Reste les pandas. Mes pires ennemis. Une quantité industrielle de merde sort de ces adorables boules de fourrure.""Tout le monde vient au zoo pour voir les pandas, et comme ils sont à peu près aussi cons qu'ils sont mignons, si vous ne lavez pas leur enclos toutes les deux heures, garanti qu'ils se rouleront dans leurs excréments tôt ou tard. Sur les photos, le panda couvert de sa propre merde, ça fait moche." Quelques extraits du dernier roman de Carl Hiaasen ? de Tim Dorsey ? de Christopher Moore ? Non, non, du dernier roman de ... Maxime Chattam. Oui, oui, je ne plaisante pas. Mais je comprends votre étonnement. Si on m'avait dit un jour que je me fendrais la gueule en lisant un roman de Maxime Chattam. 


Si on m'avait dit un jour que je classerais un roman de Maxime Chattam dans la catégorie polar décalé, je ne l'aurais pas cru un instant. Car cet auteur aujourd'hui confirmé s'est imposé comme un très grand écrivain de thrillers dits "à l'américaine". Des récits à suspense sanglants, mettant en scène des tueurs redoutables et surtout terrifiants. Son dernier roman Le coma des mortels est totalement différent. Un mélange explosif de roman noir et de comédie grinçante. Un roman tour à tour hilarant et d'un réalisme dérangeant. Une folle parenthèse dans la carrière de l'auteur ?

Peu importe, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce récit qui commence par la fin de l'histoire. Le roman s'articule donc autour d'un compte à rebours qui s'achève avec le chapitre 1. Le coma des mortels, c'est avant tout l'histoire d'un mec qui s'appelle Pierre. Enfin, avant il s'appelait Simon! Avant quoi me direz-vous? Et bien, avant que Simon ne décide de tirer un trait sur sa vie, et de tout recommencer à zéro. Du passé faisons table rase! Nouvelle identité, nouveau job, nouvelle(s) copine(s), nouveaux amis. Le problème c'est que les copines et les amis en question meurent tous les uns après les autres. Bien sûr, Pierre est le coupable idéal aux yeux de la police. Mais est-il vraiment l'assassin ? Il faut dire aussi que Pierre a la tête de l'emploi, comme on dit, car ce trentenaire a un comportement assez ... atypique, c'est le moins que l'on puisse dire!

Au final, Le Coma des mortels est un thriller existentialiste, un agitateur de pensées, un constat sans concession sur nos société modernes, et une réflexion sur le sens de la vie, nos vies. Chacun interprétera à sa manière les dernières pages du livre, chacun en retirera ce qu'il veut. Mais ce livre a le mérite de poser des questions pertinentes. Sur la forme, c'est très bien écrit, c'est fluide, c'est bien fichu, bref c'est du Chattam.

Maxime Chattam, Le coma des mortels, Albin Michel, 400 pages, sorti en 2016.

Du même auteur sur ce blog:
La conjuration primitive ; La patience du diable ; Le Signal

Je vous conseille aussi:
Un jambon calibre 45, Carlos Salem
Si belle mais si morte, Rosa Mogliasso