lundi 21 novembre 2022

L'âme du fusil, d'Elsa Marpeau

 

"J'ai tiré à bout touchant. Deux coups dans son ventre. Son corps a basculé, il est retombé sur les tommettes. Une tache de sang a gonflé sous son dos, sous sa tête. Comme une peinture éblouissante. Dehors, le jour commençait à se lever, une lumière chaude m'a enveloppé. Dans le silence parfait des champs, j'ai pris une bêche et j'ai creusé un trou. Il n'y aurait pas d'autres funérailles que celles-ci, minuscules et bâclées. J'ai jeté son corps dans le trou, que j'ai recouvert de terre. Avec mon pied. Ensuite, je suis remonté dans la chambre et j'ai attendu." 

Ce sont les premières phrases du livre. Une entrée en matière fracassante, et surtout noire comme le cauchemar. On connaît donc le coupable, qui est le narrateur de cette histoire très éprouvante. 

Par contre, l'identité de la victime ne sera dévoilée qu'à la fin de l'histoire. Il s'agit donc de remonter le fil du temps jusqu'à la tragédie annoncée, qui se joue dans cette France rurale. Car L'âme du fusil est avant tout un roman noir rural. 

"Un jour, on est partis en promenade tous les deux. Je lui montrais les champs, les arbres, je nommais les fleurs pour lui comme je l'aurais fait pour un enfant. Il y avait son désir de plaire, qui ne le quittait jamais, mais je sais qu'il était animé d'une vraie curiosité. Ses yeux brillaient quand je désignais les plantes. Il voulait savoir quand elles fleurissaient et comment se transformaient leurs feuilles au fil des saisons. Je pouvais sentir un esprit vif, éveillé, malgré les trous que la cocaïne avait du y faire."

Philippe et Julien. Le rural d'un côté, l'urbain de l'autre. Deux individus perdus, déboussolés, chacun à sa manière. Depuis son licenciement économique, Philippe passe ses journées à attendre. Que son fils adolescent revienne de l'école. Que sa femme, serveuse dans un restaurant, revienne de son travail. Qu'un événement vienne rompre la monotonie d'une existence de plus en plus vide de sens. Par exemple l'arrivée d'un nouveau voisin venu de Paris, Julien. Immédiatement Philippe va développer une obsession malsaine à l'égard du jeune homme. Avec aussi une volonté viscérale de transmettre son amour de la nature et de la chasse au citadin. Qui va, à son tour, fortement perturber le quotidien de Philippe et de ses copains chasseurs. Jusqu'au drame, dont on esquisse petit à petit les contours. 

L'âme du fusil est le premier roman noir que je lis d'Elsa Marpeau. Et bien ce ne sera pas le dernier, assurément, tant j'ai aimé son style d'écriture âpre, intense, physique. Sa façon de raconter cette histoire chargée d'émotion et d'atmosphère. Sa finesse psychologique hors du commun et cette capacité à créer des personnages plus vrais que nature. Et cette tension dramatique qu'elle imprime à ce récit très noir. Car L'âme du fusil appartient à ces romans noirs qui privilégient la dureté des rapports humains et les atmosphères sombres, et qui, ce faisant, se distinguent des purs romans criminels. 

Ici, les personnages ne sont pas des policiers et des gangsters, mais des hommes et des femmes ordinaires, qui vivent à la campagne. En effet, l'auteure dresse le portrait lucide d'une France rurale déboussolée par le réchauffement climatique, et apporte une certaine vision du monde de la chasse. Ou plus précisément de l'art de la chasse. L'intention d'Elsa Marpeau, selon moi, est de casser la vision trop manichéenne de la société française sur cette activité. De nuancer le propos. De montrer les avantages et les inconvénients. Il faut bien connaître une activité avant de pouvoir donner un avis. D'accord, pas d'accord, peu importe, il ne faut pas non plus tomber dans les extrêmes. C'est le message que veut faire passer l'auteure, de mon point de vue. 

Bref, j'ai été littéralement happé par cette histoire à la fois bouleversante et terrifiante. Naturellement magnifique et humainement tragique. N'y voyez rien de diabolique, certes l'issue est terrible, mais les causes sont très basiques, ou en tout cas très humaines. Bon, cela penche quand même du côté du pire, on est dans le domaine du polar très noir, ne l'oublions pas. Je ne vous en dis pas plus, c'est rural et inquiétant, on s'y enfonce comme dans du limon. Mais quelle densité, quelle profondeur, quelle puissance d'évocation pour un roman finalement assez court. Une totale réussite. 

Elsa Marpeau, L'âme du fusil, Gallimard folio policier, 190 pages, sorti pour la première fois en France en 2021. 

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2 commentaires:

  1. Voilà qui est très tentant ! je le note de suite :)

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  2. Oui gros coup de coeur pour ce roman noir rural très bien écrit. N'hésite pas à me faire un retour. Bonne soirée

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