lundi 11 janvier 2016

Spinoza encule Hegel, de Jean-Bernard Pouy


"Ce fut là que démarrèrent les défis, les règles, le sang, l'extermination du gauchiste par le gauchiste, du malade infantile par le malade sénile. Jusqu'aux jours d'aujourd'hui où des bandes d'énervés sillonnent les routes, traqués et tueurs, suicidaires et suicidés de la société morte." La France après l'apocalypse, c'est ça: des petits groupes qui se revendiquent communistes, fascistes, féministes, spinozistes ou hégéliens. Et les spinozistes n'aiment pas les hégéliens, mais alors pas du tout. Spinoza encule Hegel, c'est donc l'éthique qui sodomise l'esthétique.  

Et tous ces individus, survivant tant bien que mal dans un monde malade qui tente de se reconstruire, se lancent des défis de sang et de démence, s'affrontent, s’entre-tuent. Ambiance cyberpunk, Mad Max revisité à la sauce Jean-Bernard Pouy.

Résumer un roman de Jean-Bernard Pouy est une gageure tant cet auteur échappe aux codes du genre. C'est une certaine vision de la réalité, qui se traduit dans des récits courts, dont Spinoza encule Hégel est le premier opus. Une fiction violente, un roman noir décalé truffé de références culturelles subtiles, écrit dans un style imagé, et surtout brut de décoffrage, c'est le moins que l'on puisse dire. Cet auteur atypique a su imprimer sa patte singulière au polar, son style d'écriture est à la fois cru et en même temps poétique, philosophique et en même temps drôle. Un mélange totalement détonnant de tendresse romantique et de férocité primitive. Bref, c'est novateur, c'est original.

On est un peu dans le roman engagé, puisque ce récit court et violent est finalement une sorte de métaphore délirante de ce qu'est devenue la france après mai 68: la lutte des classes et des idéologies, les grèves intenses, dont certaines ont mal tourné etc... Mais au final, Spinoza encule Hégel est avant tout un polar d'atmosphère d'une formidable originalité, à ranger dans la catégorie des ovnis littéraires inclassables. C'est plus décalé que noir, car l'auteur ne se prend pas du tout au sérieux, et nous transmet vraiment le plaisir qu'il a dû prendre en écrivant ce livre. Il serait dommage de passer à côté !

Jean-Bernard Pouy, Spinoza encule Hegel, Folio, 144 pages, sorti en 1996.