jeudi 31 mars 2016

Les salauds devront payer, d'Emmanuel Grand


"Buchmeyer considéra sa coéquipière... C'était une foutue pragmatique. Une cartésienne. Lui aimait se perdre en conjectures, en suppositions parfois hasardeuses, car il avait la conviction profonde que la réalité que nous apercevons avec nos yeux et touchons avec nos doigts n'est que la surface du réel, sa peau et non sa chair, sa face émergée et non son épaisseur. Et il ne doutait jamais que le boulot de flic, qui consistait à reconstituer un enchaînement d'événements à partir d'indices laissés sur une scène de crime, nécessitait de creuser dans l'épaisseur du réel, de fouiller dans ses non-dits, son obscurité et son passé." Ce passage résume pour moi l'essence même de ce polar décapant, charpenté, et totalement abouti. Il y a les faits et les conclusions que l'on peut en tirer, mais il y a aussi une partie cachée, plus profonde. 

Pour résoudre des meurtres, il faut racler le fond, souvent déjà bien brulé, fouiller dans le passé, aller jusqu'au bout des choses. Car tout n'est pas blanc d'un côté, et noir de l'autre. C'est souvent gris, comme la couleur du ciel dans le nord de France, théâtre des opérations de ce polar haletant.

La lieutenant Saliha Bouazem, la pragmatique, assiste le commandant Eric Buchmeyer, l'intuitif, sur une enquête sordide qui pue la misère sociale: le meurtre d'une junkie dans une petite ville du Nord sinistrée. La jeune Pauline a emprunté de l'argent à des usuriers véreux sur Internet, qui l'ont assassinée parce qu'elle ne remboursait pas assez rapidement. C'est toujours bien de faire un exemple ! Un certain Freddie Wallet, qui joue les redresseurs de dettes pour ces prêteurs, est rapidement accusé, mais il n'aura pas le temps de se défendre, car il est assassiné à son tour. Et cette fois-ci c'est le père de Pauline qui est accusé. Un crime crapuleux, suivi d'un acte de vengeance, l'enquête paraît simple, mais ça c'est la surface, la face émergée, et non l'épaisseur. Car il faudra aller chercher la triste vérité du côté d'une ancienne usine, qui a fermé ses portes il y a longtemps, plongeant toute une région dans le chômage et la misère. Le passé a toujours des conséquences sur le présent. Et je peux vous dire qu'en terme de rebondissements, on est copieusement servis dans ce polar enlevé !

Les salauds devront payer est donc un énorme coup de coeur, c'est le polar français de ce début d'année 2016, à ne surtout pas louper. Sur le fonds, Emmanuel Grand mélange avec talent roman noir social, whodunit, histoire, et suspense psychologique. Rien que ça ! On tient donc là un polar se situant clairement au-dessus de la mêlée. Sur la forme, l'auteur a le sens du détail et du suspense, et montre une maîtrise remarquable dans la conduite de son récit fluide et musclé. C'est une mécanique de précision parfaitement huilée, mais pas du tout rigide. Car il y a aussi une certaine sensibilité qui ressort au niveau des personnages de l'histoire. Quelque chose de fort et d'authentique. D'un côté, l'auteur dresse un constat socio-économique terrible de cette ancienne région minière, de l'autre il retranscrit de manière très touchante l'atmosphère pétrie d'humanité qui règne dans le nord. On sent que l'auteur a aimé le nord, celui des Ch'tis, qui ont le soleil dans le coeur à défaut de l'avoir souvent au dessus de leurs têtes ! J'ai littéralement dévoré ce polar franchement noir malgré tout.

Emmanuel Grand, Les salauds devront payer, Liana Levi, 384 pages, sorti en 2016.

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