jeudi 7 juin 2018

Sans lendemain, de Jake Hinkson


"- Vous n'avez pas dit que vous partiez dans les Ozarks?
- Ouais c'est mon prochain arrêt.
Le vétéran se gratta le menton.
- Vous devriez éviter l'Arkansas. Une fille seule dans ce coin-là, vous pourriez bien avoir des ennuis." 

Billie Dixon aurait dû écouter le vétéran et ne pas se rendre dans les Ozarks, au fin fond de l'Amérique, elle n'aurait pas rencontré le pasteur, elle ne serait pas tombée amoureuse de sa femme, et elle n'aurait pas été entraînée dans un engrenage infernal, une histoire noire comme le cauchemar qui ne pouvait que mal se terminer. Car Billie est une femme entière, qui ne fait pas dans la demi-mesure, et qui est prête à tout par amour. Une femme éprise de liberté qui n'a malheureusement pas sa place dans une Amérique des années 40 obscurantiste, hypocrite, homophobe, bref une Amérique fin prête pour le Maccarthysme.

"Jake Hinkson campe des personnages dans lesquels on se reconnaît, puis il passe la ponceuse" Je partage entièrement cette critique de l'Arkansas Times sur ce nouveau chef d'oeuvre de Jake Hinkson, actuellement pour moi le plus grand auteur américain vivant de romans noirs. Ce conteur hors pair nous plonge dans l'atmosphère poisseuse de l'Amérique d'après-guerre et dresse trois portraits de femmes terriblement réalistes: Billie, l'anti-héroïne et narratrice de ce roman noir; Amberly, l'épouse du pasteur fanatique, une femme battue qui cherche par tous les moyens à s'échapper de sa condition; Et Lucy, la pragmatique, la soeur du shérif de la ville et officiellement son assistante. Mais c'est  bien elle qui, en réalité, fait régner la loi en lieu et place de son frère attardé. Seulement voilà, à cette époque, une femme n'est pas censée occuper un poste d'homme. Mais Lucy est une femme très intelligente, et tristement lucide sur la condition de la femme dans une Amérique puritaine et rétrograde. Une femme consciente des limites morales à ne pas franchir, et des comportements à suivre pour pouvoir un minimum exister librement dans une société intolérante. L'exemple à suivre pour Billie, qui n'y parviendra pas. 

Sans lendemain est un court roman noir qui se lit d'une traite, et qui repose sur une intrigue taillée au couteau, et sur des personnages forts, subtils et attachants. On retrouve tout ce qui fait la force de l'auteur du cultissime L'Enfer de Church Street: un style simple, dépouillé, incisif, des dialogues enlevés, au service d'un récit fluide qui va à l'essentiel, sans gras, sans fioritures. Sans lendemain est une histoire pure et dure qui baigne dans cette atmosphère viciée d'un roman très noir à la Jim Thompson, David Goodis, ou encore James Ellroy. C'est également l'histoire poignante de trois femmes dont les destins s'enchevêtrent pour le pire. Et c'est enfin une critique virulente et sans appel de la bigoterie. Noir majuscule!

Jake Hinkson, Sans lendemain, Gallmeister, 224 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides, sorti en 2015 (Etats-Unis) 2018 (France)

Du même auteur sur ce blog:
L'Enfer de Church Street

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