"Les calculs que j'avais faits à mon avantage, de revenir deux semaines en forêt, grassement payé, dans cet endroit que j'aimais, s'envolaient à la vitesse des infos que balançait Jules. Le plus grand talent d'un escroc reste de savoir faire appel à votre naïveté. J'avais cru qu'il lâchait six mille euros, plus les frais, pour un petit boulot peinard à la hauteur de mes talents de diéséliste. A croire que j'avais aussi oublié la Guyane, le fleuve, les boss, la folie de l'or et la dégradation morale de cette partie du globe."
Effectivement, Marc aurait mieux fait de rester avec sa femme et ses deux fils en métropole, malgré une situation très précaire. Mais Marc a du mal à joindre les deux bouts, il a besoin d'argent et vite.
Et surtout, l'appel du large est trop fort, l'aventure c'est l'aventure. Sauf que l'aventure en question va se transformer en cauchemar. Marc sait que Jules, son ancien boss, est un escroc patenté, qui opère notamment dans le trafic d'or. Et le malfrat a décidé de faire convoyer une énorme pelle Caterpilar à travers la jungle, conduite par un ancien légionnaire complètement timbré. Marc qui remonte un fleuve en pirogue, et qui se retrouve coincé en pleine jungle avec un militaire fou, dans le but de réparer un moteur de pelle Caterpilar 215, tout ça ne vous rappelle rien ? Oui, oui c'est bien ça, Apocalypse Now et Le Salaire de la peur.
Ce court roman noir (123 pages dans sa version poche) est avant tout un hommage à ses deux grands films qui ont marqué l'histoire du cinéma. CAT 215 est un huis clos fulgurant qui sent la poudre et l'atmosphère moite, viciée de la jungle guyanaise. Une nature hostile, impitoyable qui se défend contre ces hommes qui la détruisent chaque jour par leurs actions. L'auteur dresse un constat sans équivoque sur un département d'outre-mer gangrené par les trafics en tout genre. Et dont l'or attise les convoitises les plus folles. Corruption, règlements de comptes, misère sociale, police impuissante, le portrait dressé par Antonin Varenne est terrifiant de réalisme et de lucidité.
Sur la forme, on retrouve dans ce récit âpre tout ce qui fait la force de cet auteur français: des dialogues enlevés, des personnages travaillés, et surtout un style d'écriture précis, racé, très marqué. On me ferait lire un texte d'Antonin Varenne à l'aveugle, je reconnaîtrais de suite son style inimitable. J'ai également beaucoup aimé la fin ouverte, qui ne conclut pas l'histoire et qui laisse le soin au lecteur d'imaginer lui-même la suite. Au final un récit à la fois romanesque et tristement réaliste, et un hommage aux grands films d'aventure intelligents.
Antonin Varenne, CAT 215, J'ai lu, 123 pages, sorti en 2016.
Du même auteur sur ce blog:
Tant pis pour le Sud, Philippe Rouquier
Condor, Caryl Férey
Kisanga, Emmanuel Grand
Les hamacs de carton, Colin Niel
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