mercredi 12 décembre 2018

Si belle mais si morte, de Rosa Mogliasso


"De toute façon, cette femme à l'élégance discrète et aux escarpins incongrus était morte. Quelqu'un la trouverait, un tas de gens passaient le long du fleuve, des joggers ou ceux qui, comme elle, promenaient leur chien." Si jamais vous tombiez par hasard sur un cadavre humain, que feriez-vous ? La réponse semble de prime abord évidente: vous contacteriez les secours ou la police, bref, vous signaleriez le drame aux autorités compétentes. Ou pas. Et c'est le ou pas qui l'emporte dans ce court roman noir et décalé écrit par la talentueuse italienne Rosa Mogliasso. Quel est le point commun entre une ex-mannequin devenue vendeuse, un couple de lycéens, un SDF doux dingue, et un boulanger romain ? Toutes ces personnes ont découvert le cadavre d'une jeune femme abandonné dans un parc au bord d'un fleuve (ce n'est pas précisé dans le roman, mais je pense que la ville est Turin, et le fleuve le Pô). Et aucune de ces personnes ordinaires n'a signalé l'incident: pas un coup de fil aux autorités, rien. Par peur, hésitation, incapacité à prendre une décision, lâcheté, indifférence, égoïsme. Les raisons de ce comportement sont nombreuses et souvent propres à chaque individu. Une chose est sûre: ce drame va bouleverser leur vie. Pour le civisme, on repassera...

Le théâtre fait partie intégrante de la vie de Rosa Mogliasso. En effet, cette quinquagénaire italienne a longtemps fait partie d'une compagnie de théâtre, et est actuellement responsable de la programmation du théâtre Baretti de Turin. L'auteur a donc tout naturellement transposé les codes de cet art vivant dans ses polars. Si belle mais si morte en est la parfaite illustration. Ce n'est pas un polar au sens strict du terme. Les personnages principaux ne sont pas des policiers, il n'y a pas d'enquête. Ce livre est un mélange de roman noir sociétal et de comédie grinçante. Tour à tour hilarant et d'un réalisme dérangeant. Une pièce de théâtre à l'italienne en version roman qui séduit par un humour féroce, cynique, parfois même cruel. L'auteur livre à travers ces portraits d'hommes et de femmes ordinaires une réflexion sur l'évolution de la société moderne. Une société de plus en plus individualiste et immorale, en manque de repères.

Sur le fond, l'auteur s'est inspirée d'un fait réel: le meurtre en 1964 à New York de Kitty Genovese. Un crime devenu tristement célèbre. En effet, la jeune femme fut assassinée en pleine rue, près de sa maison, devant témoins. Témoins qui ne sont pas intervenus pour stopper l'agression, mais surtout qui n'ont pas appelé les secours. Rosa Mogliasso a donc construit autour de ce drame une commedia dell'arte matinée de réflexion sociologique, pour notre plus grand bonheur. le tout écrit dans un style incisif plein d'énergie de de vitalité. Avec une bonne dose d'humour noir. Un court roman qui se déguste sans modération.

Rosa Mogliasso, Si belle  mais si morte, Points, 130 pages, traduit de l'italien par Joseph Incardona, sorti en 2015 (Italie) 2017 (France)

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