lundi 19 novembre 2018

L'essence du mal, de Luca d'Andrea


"Tandis que je me penchais pour ranger mon appareil dans mon sac, je saisis des bribes de conversation entre Ilse et deux vacanciers âgés en short, Birkenstock et chaussettes blanches arrivant juste sous leurs varices bien visibles. Quelques mots seulement, mais parfois il suffit d'un rien.
Pour que le destin vous passe la corde au cou.
- C'était en 1985, madame.
- Vous en êtes certaine ?
- C'est l'année où je suis née. L'année du massacre du Bletterbach. Ma mère me le répétait souvent: "Tu es née l'année de cette terrible affaire, voilà pourquoi tu te comportes comme ça." 
Elle avait été traumatisée par cette histoire.
- Ils ont fini par trouver le responsable de cette boucherie ?
Une pause. Un soupir.
- Jamais "

Jeremiah Salinger, seul et unique narrateur de cette histoire, est du genre obsessionnel. Ce réalisateur américain de documentaires a décidé à tout prix de découvrir la vérité sur des crimes abominables survenus en 1985 dans la région reculée du Tyrol du Sud. Trois jeunes gens retrouvés morts dans d'atroces circonstances dans la forêt du Bletterbach. Un lieu sauvage, hostile, maléfique, riche en légendes macabres de toutes sortes. Trente ans plus tard, le mystère demeure, et la plupart des habitants du coin n'ont pas envie de rouvrir cette profonde blessure. Comme si une malédiction planait depuis des décennies sur ces contrées lointaines, comme si la vérité allait dévoiler également les coulisses mortifères de villages rudes aux secrets inavouables. Mais le passé finit toujours par ressurgir, et attention ça peut faire mal. Et Jeremiah Salinger ne lâchera pas le morceau, quitte à mettre en danger sa santé mentale et la stabilité de sa famille. 

Sur le fond, à première vue, je me suis dit rien de nouveau sous le soleil, on est sur du polar classique, mélange de whodunit et de thriller sanglant. Un titre assez racoleur pour un cold case vieux de trente ans à élucider au coeur des Dolomites en Italie du Nord. Un thriller glacial et glaçant, âpre et vertigineux à l'image de son saisissant décor. Mais aussi un roman noir qui sent la poudre et l'atmosphère viciée d'un village italien perché dans les montagnes. Mais au fur et à mesure qu'on avance dans cette histoire très prenante, l'originalité prend le dessus. L'auteur nourrit son récit d'éléments historiques, géologiques, et paléontologiques, qui apportent de la densité, et maintiennent le suspense à un niveau élevé. Nous amenant petit à petit vers la vérité, et jusqu'au coup de théâtre final dans les toutes dernières pages du roman. 

Ce qui m'a également beaucoup plu, c'est le style d'écriture de l'auteur, et sa façon de raconter l'histoire, de brouiller les pistes, et de distiller les réponses au compte-gouttes. C'est bien écrit dans un style original, très direct, incisif, et non dénué d'humour malgré la grande noirceur de ce récit remarquablement construit, et à l'ambiance sombre qui frise parfois le surnaturel. Avec un personnage principal complexe et terriblement humain par certains aspects. Un homme tourmenté, qui se sent coupable d'un drame survenu en montagne, et qui va chercher la rédemption en se jetant corps et âme (c'est le moins que l'on puisse dire) dans une quête de vérité ultime. Au final, avec ce premier roman totalement abouti, Luca d'Andrea fait une entrée remarquée sur la scène du polar italien, qui regorge décidément d'écrivains talentueux. Un concurrent de tout premier ordre pour Donato Carrisi, Sandrone Dazieri et Ilaria Tuti.

Luca d'Andrea, L'essence du mal, Flio, 512 pages, traduit de l'italien par Anaïs Bouteille-Bokobza, sorti en 2016 (Italie) 2017 (France)

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