lundi 20 mars 2017

Privé, de Joe Gores


Décédé en 2011 à l'âge de 80 ans, l'écrivain américain de polars Joe Gores laisse derrière lui une oeuvre largement reconnue dans son pays, récompensée par de nombreux prix et distinctions littéraires. Joe Gores fait partie du club très fermé des auteurs à avoir reçu trois Edgar différents. L'Edgar étant l'équivalent américain de notre Grand prix de littérature policière. Hammett son polar le plus connu a notamment été adapté au cinéma. Privé, oeuvre partiellement autobiographique, est considéré comme son meilleur polar. Son chef d'oeuvre, un roman noir historique au dénouement inattendu, dramatique, et surtout inoubliable. L'auteur nous offrant un ultime rebondissement dans les toutes dernières pages du roman. 


Dans cette oeuvre éblouissante de sauvagerie, à la fois comique et dramatique, Joe Gores démontre la possibilité de mêler fresque historique, roman d'apprentissage, et enquêtes de détective privé, nous offrant son roman le plus abouti.

Tout d'abord fresque historique. Avec son style dense, pur, truffé de références culturelles, Joe Gores reconstitue de manière exceptionnelle, toute une époque, celle de l'Amérique des années 50. Une Amérique sociologiquement protéiforme. En effet, les différences de mentalités sont énormes, entre une Géorgie arriérée et raciste, qui pratique encore l'esclavagisme, et une Californie aux mœurs libérées, qui pratique déjà le culte de la beauté, mais qui prône aussi l'individualisme au détriment de la solidarité. C'est donc toute une atmosphère d'époque qui est précisément retranscrite dans ce polar. 

Ensuite, roman d'apprentissage, car Privé, oeuvre forcément très personnelle, car en partie autobiographique, raconte le passage à l'âge adulte de Pierce Duncan, sorte de double littéraire de Joe Gores. Pierce Duncan est un jeune homme curieux, vif d'esprit, et surtout généreux et dénué de toute méchanceté à l'égard de ses semblables. Pierce quitte son Minnesota natal pour faire son expérience de la vie. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que son expérience va débuter dans la douleur, puisque Pierce devient complice d'un meurtre dans un camp de travailleurs forcés en Géorgie. Un acte tristement fondateur qui va conditionner le reste de son existence. Le pauvre Pierce a le don de s'attirer les pires ennuis, et de se retrouver dans des situations dangereuses et improbables. Le jeune homme croisera sur sa route des personnages ambigus à souhait, et deviendra le témoin de ce que les hommes sont capables de s'infliger entre eux. Un apprentissage impitoyable qui ne sera pas sans conséquence sur son destin, comme si Pierce était le jouet de démons facétieux, et surtout cruels. Pauvre Pierce, qui finit par s'installer à San Francisco, pour occuper le métier de Détective privé.

J'en profite pour rectifier une erreur dans le résumé au dos du livre. Pierce ne devient pas détective dans la cité des anges (Los Angeles), mais bien à San Francisco. Le jeune homme est engagé par un individu sans foi ni loi, surnommé Buveur. Celui-ci aura au moins le mérite de lui enseigner les ficelles du métier. Des ficelles que Joe Gores connaît bien, puisque l'auteur a mené une carrière de détective privé. Ce qui lui permet d'avoir de la matière pour ses histoires. Pierce résoudra un certain nombre d'affaires, pour notre plus grand bonheur de lecteurs, jusqu'au final époustouflant. Privé: un chef d'oeuvre méconnu à découvrir d'urgence !

Joe Gores, Privé, Rivages, 512 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Guy Abadia, sorti en 1999 (Etats-Unis) 2005 (France)

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