"Je crois, moi, que Berthet a refusé de laisser l'époque massacrer ton corps de jeune fille, ce corps qu'il ne posséderait jamais en faisant l'amour avec toi. Berthet était un membre de l'Unité, Berthet savait que le déterminisme n'existait pas, qu'il suffisait d'une poignée d'hommes décidés, sans pitié, sans morale pour changer dans l'ombre le cours des événements. Demain, s'ils le désiraient, si ça arrangeait des intérêts supérieurs, ils transformeraient Roubaix, ou une autre ville, en champ clos d'émeutes ethniques et après-demain, ils feraient cesser ces mêmes émeutes qu'ils auraient provoquées. Ils se prenaient pour Dieu, avec un pouvoir illimité merveilleusement confondu avec la transparence démocratique."
L'Unité, un État dans l'État, sorte d'organisation nébuleuse qui tire les ficelles de l'histoire, et qui se compose notamment d'agents secrets comme Berthet. De véritables machines à tuer qui accomplissent les basses besognes. Mais Berthet n'est plus tout jeune, et surtout il sait beaucoup, beaucoup de choses sur l'Unité. Alors forcément Berthet a peur d'être assassiné par son impitoyable employeur, et donc Berthet se cache à Lisbonne, et réfléchit à une porte de sortie. Faire écrire ses mémoires par un écrivain aux abois comme Martin Joubert, par exemple. Un roman sur sa carrière de tueur, mais surtout une assurance-vie contre l'Unité. Faire éclater la pourriture au grand jour. Mais pas seulement. Car Berthet a une faille, un talon d'Achille, comme tout le monde finalement, même si Berthet n'est pas Monsieur-tout-le-monde, et heureusement! Berthet veut faire tomber l'Unité pour sauver la ministre Kardiatou Diop, avec qui Berthet entretient depuis des décennies une bien étrange relation. Une histoire d'amour oui, mais pas au sens où on pourrait l'entendre.
Polar inclassable, indéfini, L'ange gardien est donc l'histoire de ces trois personnages que sont Berthet, Martin Joubert, et Kardiatou Diop. Trois récits, trois destins qui s'enchevêtrent pour le meilleur et surtout pour le pire, dans cette oeuvre qui mélange la fiction et la réalité. Les noms des politiques sont fictifs, mais on n'a pas trop de difficultés à faire le lien avec des personnages bien réels. Car l'auteur dresse avant tout un constat implacable sur le monde actuel, et sur la France en particulier: progression des extrêmes, fragilisation des démocraties, cloisonnement de plus en plus important de nos sociétés, repli sur soi dans une atmosphère de doute et de peur.
Le ton du roman est également singulier, entre thriller d'espionnage rythmé par de très bonnes scènes d'action, critique sociale et politique, et histoire d'amour. Le sexe (souvent très cru) et l'humour sont également présents, histoire d'atténuer le côté assez "froid" de ce qui reste quand même un thriller politique impitoyable. J'ai bien aimé ce passage assez vaudevillesque, lorsque ce pauvre Martin Joubert se retrouve coincé dans son appartement entre Berthet d'un côté, qui lui veut du bien, et les méchants barbouzes de l'autre, qui lui veulent du mal. Une situation cocasse mais surtout propice à de savoureux dialogues. Au final, L'ange gardien est un roman assez déroutant, troublant, écrit dans un style sec, cru, précis, nerveux, et implacable. J'ai préféré les deux premiers récits au troisième que je trouve un peu longuet par moment, exception faite du final qui atteint des sommets d'intensité dramatique.
Jérôme Leroy, L'ange gardien, Folio, 384 pages, sorti en 2014.
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