dimanche 18 mars 2018

Chacun sa vérité, de Sara Lövestam


"- Tout se passe dans notre tête. Même nous qui sommes... qui ne donnons pas naissance à des enfants irréels, nous nous faisons une idée de la réalité à partir des impressions que nous procurent nos sens. Ce que nous ne percevons pas n'existe pas pour nous. 
Pernilla s'accroche à cette conclusion. 
- Et inversement.
- Et inversement. Mais ensuite, nous comparons notre réalité à celle des autres pour construire une image crédible du monde."

Chacun sa vérité, chacun sa réalité, chacun sa propre perception de la réalité. Il n'y a pas une vérité, ni une réalité, mais plusieurs vérités, plusieurs réalités. Il y a les faits incontestables et l'interprétation qu'on en fait. Chacun se construit sa propre réalité par rapport à son environnement, son vécu, ses expériences, et la structure de son cerveau. Le monde n'est pas manichéen, tout n'est pas blanc d'un côté, et noir de l'autre, c'est bien plus complexe que ça. L'histoire racontée par Sara Lövestam illustre parfaitement cette conception de la vie humaine. Chacun sa vérité est avant tout l'histoire d'une rencontre entre deux êtres en manque de repères, qui se cherchent: Kouplan, un jeune iranien, dont la demande d'asile a été rejetée par la Suède, et qui vit donc depuis trois ans dans la clandestinité. Et Pernilla, une quarantenaire suédoise, dont Julia, la fille de six ans, vient de disparaître. La rencontre avec sa femme vaudra à Kouplan sa première mission en tant que détective privé sans-papiers: retrouver la fillette, découvrir la vérité sur sa disparition. Des bas-fonds de Stockholm aux salons feutrés de la bourgeoisie suédoise, Kouplan promène sa peur d'être arrêté par la police et sa douleur de citoyen fantôme déraciné, tout en s'efforçant de dénouer les fils de cette bien étrange affaire. Dur dur d'exercer le métier de détective quand on est à la fois le chasseur et la proie. 

Sara Lövestam, jeune auteure suédoise surdouée, s'inscrit dans le souci d'une narration réaliste et dévoile les coulisses d'une capitale suédoise mortifère. Reflet d'une société de plus en plus inégalitaire et individualiste et de moins en moins tolérante. Au premier abord, l'intrigue semble très classique: une enquête menée par un détective privé qui utilise des méthodes éprouvées, telles que la filature, les interrogatoires et l'observation clinique des lieux et des individus. Mais Chacun sa vérité n'est pas seulement un whodunit, mais également un roman noir psychologique écrit dans un style très novateur, à la fois simple et sophistiqué. Un style envoûtant et pétri d'humanité, des dialogues crédibles, au service d'un récit pur et dur, dépouillé, qui ne tombe jamais dans la façilité. Un récit très subtil et émouvant par certains côtés. Kouplan découvre très vite que la fille de Pernilla n'existe pas officiellement. Comme quoi il n'y a pas de hasard: qui est mieux placé qu'un citoyen clandestin pour retrouver une autre citoyenne clandestine ? Même si la cause de cette clandestinité est bien différente. Et derrière cela, c'est bien de quête identitaire dont il s'agit pour ces deux êtres sensibles, qui étaient destinés à se rencontrer. Chacun sa vérité est le premier volet réussi d'une singulière tétralogie. 

Sara Lövestam, Chacun sa vérité, Pocket, 304 pages, traduit du suédois par Esther Sermage, sorti en 2015 (Suède) 2016 (France)

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