lundi 25 mai 2020

Le diable en personne, de Peter Farris


"Il ouvrit brusquement la portière passager et grimpa dans la voiture. 
- Roule ! Vas-y, roule, mec, s'il te plaît, sors-nous d'ici !
- C'est quoi ce bordel ? hurla Prance.
Son .32 était pointé sur Kalvin, qui ne semblait pas le remarquer. Il faisait de l'hyperventilation. 
- Il a un champ plein de cadavres. Il a foutu le feu à Rodney ! Démarre, putain !
- Où est Rodney ? dit Prance. Et Willie ?
- Morts ! Dit Kalvin, entre deux spasmes. Il est pas humain, celui-là ! C'est le diable en personne !"

Le diable en personne s'appelle Leonard Moye, un vieil ermite qui vit dans une ferme perdue en pleine forêt de Géorgie du Sud. 

Un homme étrange avec pour seule compagnie des chats facétieux ainsi qu'un mannequin de couture, sorte de femme de substitution. Excentrique le Leonard, mais également un teigneux de la première heure qui sauve Maya, une jeune prostituée, d'une tentative d'assassinat sur ses terres. Pourtant le vieil homme est loin d'être blanc comme neige. Cela n'empêche pas Maya, qui en sait trop sur des gens haut placés, de s'installer chez Leonard. Avec pour conséquence la naissance d'une amitié improbable mais profonde. Mais d'autres tueurs viennent, pour le compte de Mexico, le souteneur de Maya, une pourriture de la pire espèce qui fait des affaires avec le maire d'Atlanta. Qui est lui aussi une pourriture de la pire espèce. Finalement ce sont surtout eux les diables dans l'histoire. Dans cette histoire noire comme le cauchemar, dans ce monde de trahison et de violence.

Le diable en personne est un grand, un très grand roman noir américain, qui sent la poudre et l'atmosphère viciée d'une petite ville du Sud profond. Un roman atroce, prenant, implacable, qui a du caractère, de la densité. Un livre mordant, surprenant, intelligent, de par son intrigue et son atmosphère. Un chant funèbre sur un monde de démence et de sang. L'Amérique impitoyable, version loi du talion.

Le diable en personne est clairement un polar pas comme les autres, un roman pur et dur, d'une noirceur et d'un réalisme impressionnants, se distinguant notamment par le style d'écriture de son auteur, Peter Farris. J'en profite au passage pour féliciter le traducteur, qui a su restituer très fidèlement la tonalité, la tessiture de cette voix à part. Je me suis perdu avec plaisir dans un style à la fois très précis sur la forme et très évasif sur le fond, pour mieux rebondir quelques pages plus loin. L'auteur distille un suspense d'une rare efficacité, et les scènes d'action sont très visuelles. On a l'impression d'y être, c'est magistral.

En outre, l'auteur dresse un portrait au vitriol de la Géorgie, sa misère urbaine et rurale, ses politiciens corrompus, ses combines, ses meurtres souvent très violents. Mais pas seulement. Il y a heureusement un peu de beauté dans tout ça. Des paysages sauvages, une faune et une flore très riches, parfois exceptionnelles, magnifiquement retranscrites par l'écriture précise de l'auteur. Du James Lee Burke dans le texte. Peter Farris nous fait visiter son Deep South, curieux mélange de beauté sauvage inamovible et de délabrement progressif. Sorte de prélude à l'apocalypse, au chaos.

Car ne nous y trompons pas, au final, Le diable en personne est une histoire franchement noire, mettant en scène des personnages plus vrais que nature. La Belle et la Bête version southern américain radical. Il serait vraiment dommage de passer à côté de ce très bon polar décapant, nerveux et tranchant comme une lame de rasoir.

Peter Farris, Le diable en personne, Gallmeister, 258 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anatole Pons, sorti en 2017 (Etats-Unis et France)

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