mardi 16 mars 2021

La disparition d'Adèle Bedeau, de Graeme Macrae Burnet

 

Un écrivain fantasque, facétieux, que ce Graeme Macrae Burnet. Qui prend un malin plaisir à jouer avec ses lecteurs. Par exemple, en leur faisant croire qu'il n'est pas le véritable auteur de ce roman policier digne des meilleurs Georges Simenon. En effet, La disparition d'Adèle Bedeau serait en réalité l'oeuvre d'un certain Raymond Brunet. Et vous auriez donc entre vos mains une nouvelle édition établie par Graeme Macrae Burnet et Julie Sibony, la traductrice. Ensuite, vous liriez une préface de Graeme Macrae Burnet qui dresse la biographie complète de Raymond Brunet. Le destin tragique d'un écrivain raté qui finit par se suicider à l'âge de 38 ans en se jetant sous un train. Brunet, anagramme d'un certain ... Burnet, c'est bon vous avez compris l'astuce ? Un écrivain facétieux, ce Burnet, je vous le dis ! 

Mais également, et surtout, un écrivain surdoué, qui possède un talent certain pour échafauder une intrigue intelligente, camper des personnages psychologiquement très fouillés, et créer toute une atmosphère. La disparition d'Adèle Bedeau frappe par sa maîtrise du rythme et des atmosphères, la finesse de son œil et l'élégance de son écriture, limpide, posée. 

On est loin du thriller commercial, calibré, truffé de rebondissements tirés par les cheveux. Même si l'auteur sait captiver ses lecteurs, en instaurant subtilement une tension dramatique à son récit, car plus d'une fois, je me suis retenu de sauter des pages afin de connaître la suite des événements. 

La disparition d'Adèle Bedeau repose beaucoup sur ses deux personnages principaux, Manfred Baumann et Georges Gorski. L'action se déroule dans les années 70, l'auteur ne donne pas de date précise, ce qui donne l'impression que ce roman se situe un peu hors du temps. Car le plus important est ailleurs: le lieu, ou plutôt les lieux, et les personnages. 

Manfred Baumann est directeur dans une banque de Saint-Louis, une ville alsacienne frontalière avec la Suisse et l'Allemagne. Manfred mène une vie terne, monotone, réglée comme du papier à musique. Un homme seul, très seul, pas de femme, pas d'enfant, pas d'amis. Ses seuls "amis" sont les clients réguliers et le personnel du restaurant de la Cloche. Manfred y passe ses soirées à boire et à reluquer la jeune serveuse, Adèle Bedeau, qui, un beau jour, disparaît sans laisser de traces. 

Entre alors en scène Georges Gorski, le flic, chargé d'enquêter sur cette disparition jugée inquiétante. Et très vite, Gorski va s'intéresser de près à Manfred Baumann. Et on se rend vite compte que les deux hommes, finalement, se ressemblent beaucoup, c'est fait exprès, bien évidemment. En apparence, pourtant, Gorski n'est pas seul, il a une femme et une fille, mais son couple bat de l'aile depuis longtemps, et souvent le policier s'arrête pour boire dans un bistro obscur de la ville avant de rentrer chez lui. Pas pressé de rejoindre son foyer, et surtout hanté par une vieille affaire de meurtre irrésolue.

Deux personnages singuliers, solitaires, englués dans une ville de province aux nuances de gris. Effectivement, après avoir lu ce roman, vous n'aurez pas vraiment envie d'aller visiter Saint-Louis. Par contre, je vous recommande vivement de le lire ce roman, mélange subtil de polar d'enquête et de roman noir psychologique. Un livre à la fois surprenant et intelligent, et un auteur faisant preuve d'une finesse psychologique hors du commun. 

Graeme Macrae Burnet, La disparition d'Adèle Bedeau, 10/18, 310 pages, traduit de l'anglais (Ecosse) par Julie Sibony, sorti en 2014 (Ecosse) 2018 (France)

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