jeudi 24 août 2023

Un souffle, une ombre, de Christian Carayon

 

"Je n'ai pas osé dire à Pastre qu'il n'avait pas compris Basse-Misère, qu'il ne se concentrait que sur les faits, tentant de les nouer ensemble par le fil qu'il avait lui-même tissé. Il désincarnait l'histoire à force d'oublier qu'elle était faite d'une chair propre à nos montagnes. Il était comme la chambre dans laquelle j'ai passé une nuit peu reposante: les parquets luxueux, les belles tentures, l'excellente literie, ne parvenaient pas à faire oublier qu'ils ne racontaient rien sur mon petit pays, et donc rien sur moi-même." 

Il y a les faits, et il y a le reste. La grosse valeur ajoutée de ce roman d'exception se trouve clairement dans le reste. Autrement dit, il y a la partie émergée de l'iceberg, un élément certes important mais qui ne laisse pas deviner l'ensemble beaucoup plus important dont il fait partie. 

La partie émergée de l'iceberg est un crime atroce, un massacre perpétré le 24 août 1980 sur quatre jeunes adolescents qui avaient décidé de passer la nuit sur un îlot situé au centre du lac de Basse-Misère, près de Valdérieu dans le département du Tarn. Trente-quatre ans plus tard, le chercheur en histoire Marc-Edouard Peiresoles, lui-même originaire de Valdérieu, témoin très indirect du massacre alors qu'il n'était que collégien, décide de reprendre l'enquête. 

Pourtant, officiellement il n'y a plus d'enquête, puisque le coupable, un tueur en série, a été identifié, arrêté puis écroué. Mais il y a les faits et il y a le reste. Le reste c'est cette aura sombre qui n'a jamais cessé de flotter autour de cette histoire horrible. Cette atmosphère pesante, angoissante, oppressante qui imprègne depuis des décennies tout un lieu. Le lac de Basse-Misère et son camping, la ville de Valdérieu et ses usines prospères qui ont fermé les unes après les autres après le massacre. Tout un monde s'est écroulé après ce drame terrible. 

Et puis surtout il y a ce doute qui habite Marc-Edouard depuis des années. Cette ombre qui plane sur sa vie, qui l'empêche d'avancer, de se projeter. Pour lui, le ou les vrais coupables courent toujours. Le chercheur, qui exerce et vit à Toulouse, va donc retourner sur les lieux maudits de son enfance. Resituer le contexte d'avant et d'après la tuerie. Sentir les choses. Gratter la surface, et plonger dans la partie immergée de l'iceberg. La quête de vérité sera éprouvante. 

Un souffle, une ombre a du caractère, de la densité, de la profondeur. Ce livre vous prend à la gorge tant il semble vrai. Dès les premières pages, ou plutôt dès les premières phrases, j'ai su que j'avais entre les mains un polar pas comme les autres. Les mots de Christian Carayon, ce style élégant, envoûtant, cette capacité à créer toute une atmosphère angoissante, inquiétante, cette intrigue haletante riche en rebondissements, les pistes et les suspects potentiels qui se multiplient, cette vérité qui se dévoile petit à petit. Tout est subtilement et efficacement contrôlé. Du grand art. 

C'est un polar très noir qui sent vraiment la poudre et l'atmosphère viciée d'un "petit pays" encaissé, comme coupé du monde. L'auteur dévoile les coulisses mortifères d'un lieu qui ne s'est jamais vraiment remis de ce drame terrible, économiquement et sociologiquement parlant. 

Bref, vous l'aurez compris, Un souffle, une ombre est un livre extraordinaire, je l'ai adoré. C'est le premier roman que je lis de cet auteur, et bien ce ne sera pas le dernier assurément. J'ai été littéralement happé par ce récit d'une profondeur à couper le souffle. Gros, non pardon, énorme coup de coeur. 

Christian Carayon, Un souffle, une ombre, Pocket, 575 pages, sorti pour la première fois en France en 2016.

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