jeudi 6 janvier 2022

Les noyés du Clain, de Thibaut Solano

 

Entre début 2011 et juin 2013, six étudiants, tous des jeunes hommes âgés de 19 à 24 ans, ont été retrouvés morts noyés dans la Garonne. Passionné de faits divers, Thibaut Solano s'est inspiré de cette série macabre pour nourrir l'intrigue de son premier roman noir Les noyés du Clain. Le Clain, un des affluents de la Loire qui traverse Poitiers, principal théâtre des opérations de ce livre, aussi passionnant dans sa mécanique d'investigation journalistique que dans son arrière fond sociétal. Pour l'exprimer autrement, un mélange réussi de polar d'enquête et de roman noir social. Avec son lot de découvertes macabres et de tristes révélations. Fort logiquement, Thibaut Solano s'inscrit dans le souci d'une narration réaliste et dévoile les coulisses d'une France périphérique de plus en plus fracturée, fragmentée, archipellisée. 

Un roman qui prend à la gorge, tant il semble vrai. Une impression encore plus accentuée par le fait que l'auteur s'est inspiré de faits réels. Un polar écrit par un journaliste, mettant en scène un journaliste. Rien de tel que le vécu pour apporter encore plus de crédibilité à cette histoire franchement noire. 

Je distingue clairement deux grosses parties dans ce roman, qui correspondent à des époques et à des situations différentes. Seul le lieu ne change pas. Dans la première partie, nous sommes au début des années 2000, Simon Magny est inscrit à la fac de Poitiers pour suivre des études de cinéma. Un jeune homme à peine sorti de l'adolescence, qui débarque de sa campagne natale dans ce que l'on appelle communément une ville étudiante de moyenne taille. 

Peu intéressé par la fac et par la vie étudiante en général, mais désireux d'aider ses parent - victimes d'une précarité financière grandissante - à financer ses études, Simon intègre le journal local en tant que vacataire. Le corps d'un jeune étudiant est découvert dans le Clain. Malheureusement, il y en aura d'autres. C'est le début d'une longue et périlleuse enquête pour Simon, le difficile apprentissage du journalisme d'investigation. Une enquête, ou plutôt une quête de vérité pour Simon, le but de sa vie, qui s'achèvera bien des années plus tard. C'est la deuxième partie, je ne vous en dirai pas plus.

Je vous laisse plutôt le soin de découvrir ce polar qui m'a réellement captivé. Roman de campus, d'apprentissage, d'enquête, dont les multiples rebondissements se doublent d'un portrait sans concession de la France d'aujourd'hui. Qui ne se communautarise pas seulement dans les quartiers sensibles des grandes villes, mais aussi dans les villes moyennes et à la campagne, et sous diverses formes. 

Par exemple, dans le village natal de Simon, où vivent encore ses parents, l'école publique est menacée de fermeture à cause de l'ouverture d'une école alternative qui capte une partie de plus en plus importante des effectifs scolaires. Une école créée par les parents eux-mêmes, les nouveaux habitants du village, qui veulent transmettre à leurs enfants une éducation, des moyens, et des valeurs autres que ceux qui sont, selon eux, transmis à l'école publique. Une autre forme de séparatisme, et de fragmentation sociétale, puisque les parents qui ne pourront pas, ou ne voudront pas mettre leurs enfants dans cette école privée payante, n'auront pas d'autre choix que de partir du village. Qui accueillera désormais presque exclusivement des familles partageant les mêmes valeurs que celles qui sont déjà sur place. Je trouve que l'auteur fait très bien ressortir, en filigrane, cette évolution de la société française au cours des vingt dernières années. 

Sur la forme, ce roman porte clairement la marque d'un vrai journaliste de terrain. C'est écrit dans un style direct, incisif, au service d'un récit très bien construit. Au final, un premier roman vraiment réussi, prenant du début à la fin. 

Thibaut Solano, Les noyés du Clain, La Bête Noire Robert Laffont, 404 pages, sorti en 2021. 

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