mercredi 14 février 2018

Monteperdido, d'Agustin Martinez


"Comment pourrait-elle encourager les soupçons dans un groupe aussi uni? Les habitants de Monteperdido étaient tous liés. Parrains des enfants, au même pupitre à l'école, soeurs et copines qui avaient élevé leurs progénitures ensemble, promenades communes, fêtes et hivers coupés du monde où ils avaient été privés de lumière, sans télévision, sans autre compagnie que celle des voisins, des montagnes et des animaux que celles-ci recélaient. Des cerfs, des sangliers et des chevreuils. Victor lui en avait parlé. Quelques rares renards aussi. Il vivaient dans les forêts du mont Armos, L'Ixeia. A la fois aimés et chassés. Animaux, hommes et femmes dont les vies s'imbriquaient. Pour devenir une seule et même vie. Celle de Monteperdido. "


Monteperdido, ou le fond du monde, enfin, le fond de l'Espagne plus précisément. Un village niché au creux des hautes montagnes pyrénéennes. Auquel on accède par un tunnel creusé dans la montagne. Une seule route d'accès tracée dans un décor vertigineux. Ici, c'est la nature qui dicte sa loi sur les hommes: inondations meurtrières et hivers longs et rugueux rythmés par la neige. Monteperdido est donc un village isolé, replié sur lui-même, excepté durant l'été avec le tourisme qui se développe tant bien que mal. Les autorités ont même tenté de creuser un tunnel dans la montagne pour relier l'Espagne à la France, ce qui aurait permis un désenclavement total de cette vallée. 

Mais le projet n'a pas abouti, comme si le sort s'acharnait sur Monteperdido. En effet, deux fillettes de onze ans disparaissent sur le chemin du retour du collège, alors qu'elles rejoignaient leurs domiciles. Cinq ans plus tard, non loin de Monteperdido, une voiture s'écrase au fond d'un ravin. Le conducteur est mort, mais pas sa passagère qui s'avère être... l'une deux filles disparues. Deux inspecteurs de Madrid sont dépêchés sur place pour retrouver l'autre disparue. Deux écorchés vifs aux méthodes d'investigation atypiques qui vont devoir racler le fond de la vallée pour découvrir la vérité. Et le fond en question est sacrément brûlé, c'est le moins que l'on puisse dire.

Premier roman noir de l'espagnol Agustin Martinez, Monteperdido repose sur une intrigue complexe et des personnages ambigus à souhait, englués dans un décor vertigineux et oppressant. On peut même dire que la topographie plutôt hostile des lieux joue un rôle central dans cette enquête étouffante et éprouvante dont personne ne sortira indemne. Ce polar pur et dur, implacable, touffu, sent la poudre et l'atmosphère viciée d'un village isolé qui cache d'inavouables secrets bien gardés. 

L'intrigue pleine de rebondissements jusque dans les toutes dernières pages du livre dévoile les coulisses peu reluisantes d'une micro-société soumise aux pires caprices de la nature. Avec son sens du détail, son style dense, lyrique, imagé, l'auteur retranscrit très bien ce décor hors norme et son influence sur la vie des habitants de Monteperdido. Ici, c'est donc chasse, pêche, nature et trahisons. L'auteur nous emmène loin, très loin, dans un huit-clos oppressant et noir comme le cauchemar. Monteperdido est donc un premier roman totalement abouti et réussi, une histoire âpre et puissante de bout en bout, mettant en scène des personnages forts et crédibles. Avec des écrivains comme Agustin Martinez, le roman policier espagnol a décidément un bel avenir devant lui, aucun doute là-dessus.

Agustin Martinez, Monteperdido, Actes Sud, 480 pages, traduit de l'espagnol par Claude Bleton, sorti en 2015 (Espagne) 2017 (France)

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