La mémoire est un thème récurrent dans le polar. De nombreux auteurs ont échafaudé de redoutables intrigues autour de ce sujet qui offre, il faut bien le reconnaître, de formidables perspectives romanesques. Avant d'aller dormir, La fille du train, L'oubli, Absences, La mémoire fantôme, Mémoire trouble, et donc Tout n'est pas perdu, une plongée fascinante, troublante dans les mécanismes de la perte, de la recouvrance et de la reconsolidation de la mémoire. Wendy Walker nous offre un thriller surprenant et intelligent, plus atypique et complexe qu'il n'y paraît. Le thème est certes classique, mais l'histoire racontée par Wendy Walker ne l'est pas du tout, bien au contraire. C'est audacieux, et surtout original. Un sacré tour de force réussi par l'écrivaine américaine. Qui place la barre très haut pour un premier roman !
Fairview, petite ville huppée de l'Etat du Connecticut: Jenny Kramer, une jeune adolescente sans histoire, y vit avec son père, sa mère, et son frère. Un soir, elle se rend à une fête, découvre un petit ami potentiel dans les bras d'une autre, boit plus que de raison, s'éloigne dans un bois, et se fait violer pendant une heure par un inconnu cagoulé. Le choc dans une petite ville où il ne se passe jamais rien. Jenny va recevoir un traitement chimique qui doit normalement effacer le souvenir du viol. Mais la psyché humaine est coriace, Jenny ne se souvient plus du viol, mais sa mémoire émotionnelle est toujours présente. La jeune fille va tenter de mettre fin à ses jours, et sera sauvée in extremis par l'amant de sa mère. Un suivi psychiatrique s'impose, assuré par le mystérieux Alan Forrester, qui combat ce soi-disant traitement miraculeux. Commence alors une thérapie complexe destinée à guérir Jenny Kramer, en lui permettant de recouvrer sa mémoire. Se souvenir du traumatisme pour mieux le combattre, l'affronter, quitte à faire ressortir les secrets sordides d'une petite bourgade américaine en apparence tranquille.
Je conseille ce thriller psychologique de tout premier ordre aux amateurs de puzzles complexes, machiavéliques. Wendy Walker a imaginé une intrigue pleine de suspense et de rebondissements. On suit avec intérêt l'enquête criminelle, la traque du violeur. L'auteure prend un malin plaisir à brouiller les pistes, distiller les indices au compte-goutte, et multiplier les suspects, jusqu'au dénouement final. Mais il y a aussi de la densité, de la profondeur, et de la crédibilité dans cette histoire. L'auteure s'appuie sur un fonds documentaire solide pour nous décrire les mécanismes complexes de la psyché humaine. Sans pour autant tomber dans l'explication scientifique barbante ou incompréhensible. Le ton est toujours juste, et l'équilibre est parfait entre thriller haletant et roman noir de critique sociale. Et le fait que l'histoire soit entièrement racontée par le psychiatre renforce la pertinence de ce récit passionnant.
Enfin, le style d'écriture de l'auteure contribue au succès de ce thriller à part. Un style atypique, à la fois simple et sophistiqué, élégant et cru. Ce qui donne une atmosphère particulière à ce livre parfois dérangeant, troublant. Certaines scènes sont choquantes, l'auteure n'hésitant pas à mettre en exergue la dureté des rapports humains. Ce thriller sent la poudre et l'atmosphère viciée d'une petite bourgade américaine, au sein de laquelle tout le monde se connaît. Tout finit par se savoir. Et certains secrets peuvent refaire surface au pire des moments. Au final, l'auteure signe un suspense très noir, tendu comme une lame de couteau, et mettant en scène des personnages forts. Tout n'est pas perdu est également un thriller ambitieux qui nous alerte sur les dérives possibles liées à l'utilisation des traitement chimiques qui altèrent la mémoire. Les portes de la manipulation psychique sont ouvertes !
Je vous conseille aussi:
Avant d'aller dormir, S.J. Watson
La fille du train, Paula Hawkins
L'oubli, Emma Healey
Le saut de l'ange, Lisa Gardner
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