mercredi 5 juillet 2017

La fin de l'histoire, de Luis Sepulveda


"Par ce portail, ligotée et les yeux bandés, était entrée Veronica. Dans ces jardins de roses en fleur, elle avait supporté l'inimaginable et gardé le silence. Par ce même portail, on l'avait fait sortir un jour en la croyant morte, avec les corps sans vie d'autres femmes et hommes aussi jeunes qu'elle, et on les avait tous jetés dans une décharge pour semer la terreur, fondement de la dictature." 

Le portail d'entrée de la Villa Grimaldi, épicentre de la terreur à l'époque du régime de Pinochet, le Hitler du Chili, qui a accédé au pouvoir avec l'aide des américains en 1973. Le tristement célèbre coup d'état du 11 septembre 1973, mené par le général Pinochet, qui renverse le socialiste Salvador Allende, et met en place une terrifiante dictature militaire, qui durera jusqu'en 1990. 

Veronica fait partie des opposants, des subversifs. Elle sera torturée dans cette maison de l'horreur, mais elle ne parlera pas, elle ne donnera aucun de ses compagnons de lutte pour la liberté. Son bourreau s'appelle Miguel Krassnoff, une pourriture de la pire espèce, général de l'armée de Pinochet, et fils des cosaques russes qui ont notamment servi dans les régiments SS. Tout un héritage de haine féroce qui se transmet de père en fils. La pourriture ne disparaît pas si facilement. Fin des années 2000, alors que la droite dure s'apprête à revenir au pouvoir au Chili, Juan Belmonte, ancien guérillero, proche de Salvador Allende, qui a donc dû fuir le pays pour échapper à la torture militaire, est contacté par les services secrets russes pour une mission très spéciale. En lien, mais ça Juan Belmonte ne le sait pas encore, avec un certain ... Miguel Krassnoff, actuellement incarcéré dans une prison de Santiago, la capitale. Le bourreau de Veronica qui, presque trente ans après son emprisonnement, ne s'est pas encore complètement remise des tortures infligées par Krassnoff. Veronica dont le compagnon, l'amant fidèle et dévoué n'est autre que ... Juan Belmonte. 

Mélange de polar historique et de thriller politique, La fin de l'histoire est un roman atroce, prenant, implacable, qui traverse le siècle dernier, de la révolution russe de 1917, en passant par la seconde guerre mondiale, jusqu'au Chili contemporain. Le Chili, une démocratie fragile, encore hantée par les démons tenaces de la junte militaire. Un pays qui regorge d'inégalités sociales, et dont la gigantesque capitale surpeuplée suffoque sous la pollution. Sur la forme, Juan Sepulveda est un auteur confirmé, et ça se voit. Une écriture précise, charpentée, acérée comme une lame de rasoir. Et surtout un vécu, qui transparaît dans son récit poignant. L'auteur étant, à l'instar de ses personnages, Juan et Veronica, un rescapé du régime de Pinochet. 

En seulement 200 pages, l'auteur réussit à imprimer à son récit une profondeur et une densité remarquables. L'intrigue est riche, complexe, crédible, et surtout palpitante. Je ne dévoilerai pas la fin de l'histoire, qui est assez inattendue, avec une connotation écologique qui n'est, à mon sens, absolument pas fortuite. Au final, un excellent roman noir historique qui dresse un état des lieux terrifiant de la géopolitique passée et actuelle, et un auteur qui ne nourrit plus aucune illusion sur son pays natal. Je retiendrai cette phrase édifiante de Luis Sepulveda: "La littérature raconte ce que l'histoire officielle dissimule." Et effectivement, rien n'est dissimulé, tronqué, ou édulcoré dans ce livre frontal. Juste la triste vérité sur l'histoire de nos civilisations. 

Luis Sepulveda, La fin de l'histoire, Métailié, 204 pages, traduit de l'espagnol (Chili) par David Fauquemberg, sorti en 2016 (Espagne) 2017 (France)

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