dimanche 1 avril 2018

Le Violoniste, de Mechtild Borrmann


"Ils jetèrent des pelletées de terre sur les cadavres, et, à chaque nouvelle pelletée, c'était sa vision de l'homme qu'il enterrait. Quelque chose de nouveau, de monstrueux et de terrifiant prenait sa place. Ce quelque chose était en train de changer irrémédiablement sa représentation de lui-même, sa foi dans la civilisation et dans la dignité humaine." Nous sommes en 1948, en Russie, en plein régime stalinien. Ilia Grenko, un jeune et célèbre violoniste, est arrêté par le KGB, injustement accusé d'être un traître à la patrie, puis condamné à vingt ans de goulag. La mort lente assurée pour cet homme, qui ne reverra plus jamais sa femme Galina et ses deux fils. Qui sont également expulsés manu militari de chez eux, puis déportés à Karaganda, une ville cauchemardesque perdue dans la steppe kazach.

Allemagne, fin des années 2000, Sacha, le petit-fils d'Ilia, mène une existence tourmentée. Il faut dire que le mauvais sort continue de s'acharner sur sa famille: ses parents sont morts dans un accident de voiture alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Séparé de sa sœur Viktoria, Sacha ira de foyers en maisons de redressement, avant de trouver enfin sa voie dans le renseignement. Un jour, il reçoit un appel à l'aide de sa sœur qu'il a tant cherchée: "Sacha, j'ai des ennuis. Une histoire liée à notre passé... J'ai besoin de ton aide." Mais Sacha n'aura pas le temps de parler à sa sœur qui est assassinée sous ses yeux. La quête de la vérité sur l'histoire de sa famille commence. Une terrible boîte de Pandore. Ilia, Galina, Sacha, trois destins, trois récits qui se chevauchent tout au long de ce roman noir historique poignant, bouleversant.

Se jouant d'un contexte historique marqué, du régime totalitaire stalinien de l'après-guerre à la Russie d'aujourd'hui, Le Violoniste est un intense polar historico-politique qui suit trois générations marquées au fer rouge par une terrible injustice. Une famille entière dévastée par la folie des hommes. L'auteure raconte notamment le quotidien des prisonniers politiques dans les camps de travail staliniens. Dressant ainsi un portrait terrifiant de ce régime totalitaire, véritable machine à broyer les hommes. Certaines scènes sont à la limite du supportable, l'auteure ne nous épargne rien, et dépeint une réalité impitoyable et inhumaine. 

En outre, l'intrigue criminelle, qui entremêle habilement le passé et le présent, est palpitante du début à la fin. Et c'est très bien écrit, dans un style assuré, fluide et limpide. Tout sonne juste dans ce roman assez court qu'on lit d'une traite. Pas de temps mort, pas de gras, l'auteure montre une maîtrise impressionnante dans la conduite de son récit. On a envie de savoir pourquoi Ilia a dû signer de faux aveux, pourquoi son inestimable violon a mystérieusement disparu, et pourquoi tous ses descendants meurent prématurément dans des "soi-disant" accidents. Et on s'attache viscéralement à la femme d'Ilia, Galina, qui perd tout du jour au lendemain, croyant avoir été trahie par son mari. Une mère-courage qui découvrira trop tard la vérité sur son destin tragique. Au final, Le Violoniste est un passionnant roman noir doublé d'une chronique familiale bouleversante, témoignage crédible, réaliste d'un passé funeste. Un roman pour ne pas oublier.

Mechtild Borrmann, Le Violoniste, Le Livre de Poche, 312 pages, traduit de l'allemand par Sylvie Roussel, sorti en 2012 (Allemagne) 2014 (France)

Du même auteur sur ce blog:
Rompre le silence ; Sous les décombres

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