mercredi 27 novembre 2019

Rien ne se perd, de Cloé Mehdi


"À 19 heures, on passe à table. Gabrielle invite les travailleurs sociaux à se joindre à nous. Titre du documentaire: la famille dysfonctionnelle dans sa vie quotidienne. Ça pourrait même faire une bonne émission de télé-réalité. J'imagine le pitch: Un meurtrier passionné de poésie, une dépressive suicidaire et un enfant perturbé tentent de vivre ensemble au-delà de leurs différences, mais les services sociaux s'en mêlent. Zé, Gabrielle et Mattia parviendront-ils à faire illusion et à déjouer la menace?" Mattia, onze ans, est ce que l'on pourrait appeler un mal parti dans la vie. Son père s'est suicidé alors qu'il était tout petit. Lui-même a tenté de mettre fin à ses jours, suite à ce drame. Sa mère, complètement dépassée par les événements, a estimé qu'elle ne pouvait plus s'en occuper. 


Mattia s'est donc retrouvé sous la tutelle du mystérieux Zé, qui traîne également un lourd passif. Zé qui s'est mis en couple avec Gabrielle, une femme dépressive et suicidaire. Donc à première vue pas franchement la famille idéale pour le pauvre Mattia qui survit tant bien que mal dans une ville mortifère rongée par les inégalités sociales. Et les choses vont sérieusement se gâter pour tout le monde: cambriolages, disparitions, et surtout l'apparition de tags à la peinture rouge, accompagnés de mots réclamant justice pour un certain Saïd. Mort il y a déjà plusieurs années lors d'un contrôle policier qui a très mal tourné. La colère gronde, un drame est imminent, il y a des signes qui ne trompent pas.

Rien ne se perd a été un véritable choc, une révélation pour moi. C'est l'un des meilleurs romans noirs français de ces dernières années, aucun doute là-dessus. Un roman noir urbain, engagé, qui vous prend à la gorge tant il semble vrai. Une écriture limpide, magistrale, puissante, au service d'un récit poignant, étouffant, noir comme le cauchemar. Une intrigue crédible, intelligente, et brûlante d'actualité, une histoire au réalisme dérangeant mettant en scène des personnages inoubliables, pour la plupart des écorchés vifs, marqués au fer rouge par la vie et par l'injustice qui règne en ce bas monde. Tout sonne juste dans ce roman de critique sociale, il y a vraiment de la profondeur, du coffre, de la densité dans ce livre incandescent. 

Au final, Rien ne se perd appartient à ces romans qui privilégient les atmosphères réalistes et la dureté des rapports humains et qui, ce faisant, se distinguent des purs romans criminels. Cloé Mehdi, immense auteure, s'inscrit donc dans le souci d'une narration réaliste et dévoile les coulisses peu reluisantes d'une ville française qui ne dit pas son nom, complètement archipellisée. Un roman coup de poing, multi-primé (c'est amplement mérité), totalement maîtrisé, abouti, et très bien écrit. Bref, un livre indispensable à vous procurer d'urgence. 

Cloé Mehdi, Rien ne se perd, Jigal, 295 pages, sorti en 2017.

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