mercredi 28 novembre 2018

Viande sèche, de Martin Malharro


"- Racontez-moi l'histoire Mariani.
- Un homme m'a chargé de chercher son oncle disparu sans prévenir. J'ai commencé à enquêter et des trucs louches ont surgi peu à peu.
- Du genre ?
- Le disparu est déclaré mort depuis 1983, il n'avait pas d'amis, ne recevait aucun courrier à son domicile, l'appartement était rangé comme s'il était parti acheter du pain et n'était pas revenu. Bref, il s'est volatilisé sans laisser la moindre trace."

L'argentin Mariani est détective privé à ses heures perdues. Et cet habitant de Buenos Aires a beaucoup, beaucoup d'heures à perdre: pas d'emploi fixe, pas de femme, pas d'enfant, pas un rond en poche. 

Et un logement qu'il partage avec ses deux vieilles tantes. Alors le mélancolique et désabusé Mariani traîne son spleen et sa misère dans les rues de la capitale argentine, sur fond d'une société en décomposition. Les jours se suivent et se ressemblent pour Mariani et son pote garagiste Demarchi, qui cherche désespérément l'amour dans une société sans repères et sans but, si ce n'est celui de la survie au jour le jour. Mais Mariani est bon pour retrouver les gens. Un boulot comme un autre, me direz-vous, le danger en plus.

Car Mariani est chargé de retrouver un vieil homme apparemment sans histoire. Apparemment, car notre détective privé n'est pas au bout de ses peines et de ses surprises. Mariani, accompagné de son acolyte Demarchi, ne se doute pas qu'il a mis les pieds dans une sale affaire qui dévoile tout un pan de l'histoire argentine. Le pan peu glorieux: la dictature militaire de 1976 à 1983. Un passé sanglant qui fait toujours partie du présent. Une époque terrible qui a marqué au fer rouge de nombreux argentins, et qui semble empêcher le pays et sa capitale tentaculaire d'avancer dans la modernité. Comme si Buenos Aires était figée dans le temps, enlisée dans les sables mouvants d'un déclin inéluctable.

J'ai beaucoup aimé Viande sèche, mélange réussi de polar d'enquête classique et de roman noir urbain. Un polar d'atmosphère mélancolique et violent à l'image de son décor: Buenos Aires, la ville du tango, mais surtout la capitale d'un pays en crise, une mégapole sale et polluée, rongée par les inégalités sociales. Le portrait qu'en a fait l'auteur dans son livre est globalement alarmiste, terrifiant. Malgré quelques touches de beauté par ci, par là. En outre, Viande sèche vaut surtout pour son personnage principal, Mariani, sorte de détective privé amateur que le regretté Martin Malharro a mis en scène dans plusieurs autres romans. Qui constituent une série intitulée "La ballade du Britanico", faisant référence au bar Le Britanico que fréquente assidument le pauvre Mariani. 

Sur la forme, la construction du roman est très classique, c'est une enquête qui dévoile petit à petit la vérité, et qui nous amène à un dénouement violent et sans concession, noir comme le cauchemar. Le style d'écriture est économe, simple, et direct, il y a beaucoup de dialogues, des réflexions souvent acerbes de Mariani sur son environnement social et urbain, et quelques descriptions de Buenos Aires, souvent implacables de réalisme, parfois oniriques. Globalement il flotte autour de cette histoire une aura poisseuse, une atmosphère glauque dans laquelle baignent des personnages en manque de repères et d'espoirs, spectateurs passifs et monotones d'une société à bout de souffle. Même si Mariani ira quand même jusqu'au bout de son affaire. 

Martin Malharro, Viande sèche, La dernière goutte, 281 pages, traduit de l'espagnol (Argentine) par Delphine Valentin, sorti en 2012 (Argentine) 2016 (France)

Je vous conseille aussi:

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire