jeudi 7 décembre 2017

La nuit est leur royaume, de Wessel Ebersohn


"Je hais ce sale pays. Je hais les gens qui acceptent de se laisser écraser par le gouvernement. Et je hais ces salauds de la CIO, je hais tout ce qu'ils font, y compris présenter un innocent comme le meurtrier de Krisj. Mon Dieu, comme je les hais ! " 

Helena, jeune zimbabwéenne membre de l'organisation pour la paix et la justice au Zimbabwe (et il y a de quoi faire !), a beaucoup de raisons d'être en colère: tout d'abord, sa compagne ainsi que six autres opposants au régime dictatorial de Robert Mugabe ont été officieusement arrêtés et incarcérés dans l'une des pires prisons du pays, voire même du continent tout entier. Je dis officieusement, car officiellement les autorités et notamment Jonas Chunga, le mystérieux directeur de la CIO (les services secrets du pays), nient toute arrestation, et affirment que les opposants ont certainement pris la fuite. Ensuite, l'un des leaders du mouvement de résistance, Krisj Patel, est assassiné d'une balle en pleine rue de la capitale du pays Harare. Très vite, les autorités arrêtent un suspect qui n'a rien probablement rien à voir avec le meurtre. Histoire de tuer l'oeuf dans  la poule, comme on dit.

Helena a donc beaucoup de raisons d'être en colère, je vous dis. Heureusement, elle pourra compter sur l'aide précieuse d'Abigail Bukula, la meilleure avocate de tout le continent, et du psychiatre Yudel Gordon, pour trouver le vrai coupable du meurtre de Krisj patel, et pour faire libérer les opposants au régime. Sachant que l'un de ces dissidents n'est autre que le cousin d'Abigail Bukula, une femme de caractère qui ne reculera devant rien pour obtenir justice dans l'un pays les plus corrompus de la planète. Le décor est planté pour le dernier roman de la série policière de Wessel Ebersohn consacrée à Yudel Gordon, personnage mythique de la littérature policière sud-africaine. Un homme profondément humain, facétieux, comique, mais aussi fataliste et lucide sur le monde qui l'entoure. Un individu qui connaît la nature humaine, ce qui lui permet de résoudre les affaires criminelles les plus complexes. Et dans La nuit est mon royaume, Yudel Gordon devra faire preuve de beaucoup de talent pour démêler les fils d'une intrigue plus complexe qu'il n'y paraît.

La nuit est mon royaume est le quatrième polar politique que je lis de Wessel Ebersohn, après La tuerie d'octobre, et les controversés Coin perdu pour mourir et La nuit divisée. En effet, Wessel Ebersohn est, à l'instar de Yasmina Khadra, Richard Price, ou plus récemment Marin Ledun, un écrivain engagé, de critique sociale. Dans La nuit est leur royaume, il s'agit moins pour cet auteur de retrouver le coupable d'un meurtre que de se livrer à un examen sans concession du Zimbabwe. Un pays gouverné depuis des décennies par Robert Mugabe, un dictateur de la pire espèce. D'un côté, le tyran et sa cour vivent dans l'opulence, bien à l'abri dans des palaces ultra-sécurisés, et de l'autre, le reste de la population meurt de faim. Wessel Ebersohn illustre parfaitement cette situation injuste dans ce roman, tout en nous offrant une intrigue captivante, pleine de suspense et de rebondissements. Sur la forme, On retrouve dans ce roman tout ce qui fait la force de cet auteur confirmé du polar sud-africain: un style limpide, posé, mature au service d'un récit parfaitement construit et maîtrisé de bout en bout.

Enfin, La nuit est leur royaume séduit par les personnalités fascinantes de ses deux protagonistes principaux, Abigail Bukula et Yudel Gordon. La gravité des sujets abordés dans ce livre est notamment tempérée par l'humour caustique du psychiatre. C'est appréciable. Au final, je vous recommande vivement cet excellent polar qui entremêle habilement le romanesque, au niveau de l'intrigue, et le réel, au niveau de la description du Zimbabwe. Je terminerai cette critique par cette phrase tirée de ce polar qui respire l'Afrique: "Pour Abigail, c'était une formidable démonstration de la résilience africaine. L'économie du pays avait été anéantie, réduite au pire des cauchemars, mais les habitants de ce bidonville ne baissaient pas les bras." 

Wessel Ebersohn, La nuit est leur royaume, Rivages, 400 pages, traduit de l'anglais (Afrique du Sud) par Fabienne Duvigneau, sorti en 2012 (Afrique du Sud) 2016 (France)

Du même auteur sur ce blog:
La tuerie d'octobre

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