jeudi 29 septembre 2016

Trois gouttes de sang et un nuage de coke, de Quentin Mouron


"McCarthy ne donne guère de crédit aux grandes oppositions - "fantasques, hollywoodiennes"- entre le Bien et le Mal."Abstraitement, cela se tient. Mais sur le terrain de l'homme, on les retrouve pêle-mêle, imbriqués, lovés l'un dans l'autre. Et alors, qui est bon? Qui est mauvais? La plupart des hommes ne sont ni l'un ni l'autre ; Ils vivent à la faveur des circonstances qui les dépassent, les ploient. Alors ils agissent, et les politiciens, les prêtres et les flics viennent ensuite découper dans leurs actions des tranches, qu'ils classent bonnes ou mauvaises."

Le shérif McCarthy représenterait le bon, le flic intègre, droit, croyant, un père de famille respecté qui vit dans un quartier tranquille, le rêve américain, la maison avec le jardin, la sécurité. Franck serait son double maléfique, le mauvais, un détective privé cocaïnomane et philosophe. 

Un individu déconcertant et franchement tordu. Le Yin et le Yang, sauf que tout n'est pas si simple en ce bas monde. Ces deux personnages vont enquêter, chacun à sa manière, sur le meurtre sauvage d'un jeune retraité dans une ruelle de Boston. Ils croiseront sur leur route des personnages insolites et inquiétants dans un Boston crépusculaire. Des individus représentatifs d'une certaine époque troublée, en manque de repères. Une Amérique en pleine crise des subprimes, désemparée, chaotique, au bord de l'apocalypse.

Sur le fond, Trois gouttes de sang et un nuage de coke fait partie de ces romans dits inclassables. On n'est pas dans le thriller classique à la Harlan Coben ou Lisa Gardner. Ou dans le polar d'enquête qui privilégie l'intrigue criminelle, avec un coupable à démasquer à la fin du livre. On se situe plutôt dans le roman noir qui met l'accent sur une atmosphère, et la dureté des rapports humains. Un roman philosophique qui pose des questions sur l'homme, et sur l'état de nos sociétés. Sur la forme, Quentin Mouron a un style très marqué, c'est indéniable. Une écriture à la fois simple et sophistiquée. Un mélange singulier de plusieurs auteurs: Jim Nisbet au niveau du style d'écriture sophistiqué, et truffé de références culturelles. David Goodis, pour l'ambiance très glauque, très noire. Et Jack O'Connell pour le côté philosophique du récit. Au final, un premier roman plutôt réussi, au ton singulier, parfois acerbe, critique. Je le conseille aux amateurs de polars noirs, qui sortent un peu des sentiers battus.

Quentin Mouron, Trois gouttes de sang et un nuage de coke, 10/18, 216 pages, sorti en 2015.

Je vous conseille aussi:
Le point limite, John Wessel
Sous le signe du rasoir, Jim Nisbet
La ville des morts, Sara Gran
Entre hommes, German Maggiori 


jeudi 22 septembre 2016

Un petit reconstituant, d'Elizabeth George


Elizabeth George est connue comme le loup blanc dans le milieu du polar, elle a vendu des millions de romans dans le monde entier, faisant jeu égal avec les Patricia Cornwell, Ruth Rendell, P.D. James et autres Mary Higgins Clark. Cette écrivaine américaine a notamment créé un duo d'enquêteurs "chic et choc", l'inspecteur Thomas Lynley et le sergent Barbara Havers. Deux fins limiers qui résolvent des crimes dans la plus pure tradition du Whodunit britannique. En effet, Elizabeth George est passionnée par la Grande-Bretagne, et la plupart de ses romans se déroulent donc outre-Manche. J'ai lu beaucoup de whodunits de l'auteure mettant en scène ses deux enquêteurs fétiches, mais paradoxalement, l'un de mes romans préférés reste à ce jour Un petit reconstituant, un court recueil de trois nouvelles plus truculentes les unes que les autres. 

Thomas Lynley et Barbara Havers font une brève apparition à la fin de la première nouvelle, mais sinon, pour le reste, les personnages sont tout beaux, tout neufs! Un concentré d'humanité dont vous me direz des nouvelles. J'ai pris énormément de plaisir à lire ces trois nouvelles, dont la dernière se déroule en Californie, donc pas en Grande-Bretagne, ce qui est rare pour être souligné. Mais les deux premières nouvelles se déroulent bien dans l'atmosphère So British si chère à l'auteure.  On y retrouve tout ce qui fait le charme des romans de l'auteure: intrigues remarquablement construites, parfaitement ciselées, une écriture pleine de vitalité, et une grande finesse psychologique. Elizabeth George n'a pas son pareil pour décortiquer les comportements, ou plutôt les travers humains. Mais Un petit reconstituant permet également au lecteur de découvrir une nouvelle façette du talent d'Elizabeth George: l'humour grinçant, et très irrévérencieux. Un langage cru, très cru, avec une bose dose de sexe. Ambiance Agatha Christie totalement décomplexée ! J'ai adoré ! 

Bref, trois nouvelles qui se lisent d'une traite, des personnages tellement vrais qu'on a l'impression qu'ils vont sortir du livre à tout moment, et une grande originalité au niveau des intrigues. Je n'en dis pas plus, je vous laisse le soin de découvrir ces trois histoires remplies d'humour noir. Vous prendrez bien Un petit reconstituant avec votre thé, darling, mais faites gaffe à ce que le reconstituant en question ne soit pas empoisonné. On ne sait jamais ! 

Elizabeth George, Un petit reconstituant, Pocket, 224 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Dominique Wattwiller, sorti en 1999 (Etats-Unis) 2000 (France)

vendredi 16 septembre 2016

Condor, de Caryl Férey


La parution d'un nouveau Caryl Férey est toujours un événement pour moi, tant je suis fan de cet auteur. Fan de ses histoires, de son style d'écriture puissant, sauvage, spectaculaire. Après l'Argentine avec le monumental Mapuche, Caryl Férey s'attaque au Chili, un pays toujours hanté par les démons de la dictature de Pinochet. Un passé terrifiant que l'auteur retranscrit parfaitement dans son roman, se basant sur un fond documentaire solide. Avec Condor, l'écrivain démontre encore une fois un immense talent pour échafauder des scénarios crédibles, diablement efficaces, et pour camper des personnages forts. Et quelle maîtrise dans la conduite de son récit tendu, nerveux, agrémenté de scènes chocs, jusqu'au dénouement final, "corral" et tragique.

Tout d'abord, Condor est un palpitant thriller historico-politique. L'auteur dresse un constat sans concession sur le Chili. Au programme: chômage de masse, bidonvilles, inégalités toujours plus grandes entre les pauvres et les riches, pillage sans vergogne des ressources naturelles et déforestation. Caryl Férey dévoile tout un pan peu glorieux de l'histoire du Chili, et de l'Amérique en général. Attention, âmes sensibles s'abstenir, l'auteur nous décrit l'intolérable, notamment les scènes de torture qui étaient monnaie courante durant la dictature de Pinochet. Horrible, terrifiant!

Mais Condor, c'est aussi un suspense sanglant, plein de rebondissements, une bombe textuelle survitaminée, menée à un train d'enfer. C'est une histoire d'amour et de haine: l'amour entre Esteban et Gabriela, deux écorchés vifs qui doivent fuir la capitale Santiago, embarqués dans une course-poursuite hallucinante et hallucinée à travers des paysages lunaires. La haine de Stefano, ancien militant d'Allende, le président socialiste chilien assassiné par Pinochet avec l'aide la CIA américaine. Stefano las des injustices et des pourritures qui peuplent son pays. Et en matière de pourritures, on est servis. C'est une constante chez l'auteur, les méchants sont vraiment très très méchants dans ses romans, vous avez vraiment envie de les détester. 

Au final, Condor est un véritable chant funèbre sur un monde de démence et de sang. Un thriller spectaculaire, mystique, et surtout éprouvant. Mais à sujet dur, roman dur. C'est un cri du coeur déchirant poussé par l'auteur contre la barbarie et l'injustice. C'est un hommage vibrant à la culture indienne mapuche chère à Caryl Férey. Ce que je retiendrai, c'est que, malgré toute cette noirceur qui les entoure, les personnages principaux de l'auteur ont encore envie d'aimer, et de croire en un monde meilleur. 

Caryl Férey, Condor, Gallimard, 416 pages, sorti en 2016.

Du même auteur sur ce blog:
Haka ; Mapuche

Je vous conseille aussi:
Un thé en Amazonie, Daniel Chavarria
Cuba libre, Nick Stone 
La peine capitale, Santiago Roncagliolo
Baad, Cédric Bannel
La fin de l'histoire, Luis Sepulveda
Tant pis pour le Sud, Philippe Rouquier
Cat 215, Antonin Varenne
Kisanga, Emmanuel Grand 

mardi 6 septembre 2016

Le tableau du maître flamand, d'Arturo Pérez-Reverte


Vous êtes joueur d'échecs, et amateur de polars: Le tableau du maître flamand vous plaira beaucoup. Je ne sais malheureusement pas jouer aux échecs, mais je suis un grand amateur de polars historiques, et j'ai été surpris par ce roman atypique, Grand prix de littérature policière 1993 !

Tout d'abord, l'auteur vous propose d'élucider un Cold Case vieux de cinq cents ans. Même Lilly Rush n'est jamais remontée aussi loin dans le temps pour résoudre un crime. C'est vous dire la performance ! En effet, Le tableau du maître flamand  représente une partie d'échecs entre un seigneur et son chevalier, observés depuis le fond par une dame tout de noir vêtu. En restaurant ce tableau vieux de cinq siècles, pour une vente aux enchères, la jeune Julia découvre une phrase cachée, qui semble avoir été recouverte par le peintre lui-même: Qui a pris le cavalier ? Qui devient très vite: qui a tué le chevalier ? Car il s'avère que le chevalier en train de jouer aux échecs était déjà mort avant que ce tableau soit peint. Mort assassiné par un tir d'arbalète. Une sacrée énigme à résoudre, qui va prendre une tournure diabolique cinq cents ans plus tard.

Car ensuite, l'auteur vous propose de continuer la partie d'échecs restée en suspens dans le célèbre tableau. Mais attention, quand l'adversaire vous prend une pièce, quelqu'un meurt dans l'entourage de la jeune restauratrice. Comme si le tueur du chevalier vivait encore cinq cents ans plus tard. Je n'en dis pas plus, je vous laisse le soin de découvrir cette partie d'échecs mortelle, au sens propre comme au figuré. Le tableau du maître flamand repose donc sur une intrigue très complexe, riche, pleine de subtilité. L'auteur a produit une oeuvre érudite, intelligente, qui mêle logique mathématique, philosophie, psychologie, et bien sûr peinture et histoire. Le style d'écriture sophistiqué et raffiné de l'auteur colle parfaitement à l'élégance du récit, dans un Madrid hors du temps. Un classique incontournable du polar historique, et un final grandiose, qui tient toutes ses promesses. 

Arturo Pérez-Reverte, Le tableau du maître flamand, Le Livre de Poche, 352 pages, traduit de l'espagnol par Jean-Pierre Quijano, sorti en 1990 (Espagne) 1993 (France)

jeudi 1 septembre 2016

Après la nuit, de Chevy Stevens


Toni et Ryan, deux adolescents canadiens qui vivent dans une petite ville à côté de Vancouver, s'aiment à la folie. Ha c'est beau l'amour, seulement voilà, leur idylle ne plaît pas à tout le monde. On pourrait même dire qu'ils sont seuls contre tous. Pourtant ils ne sont pas si méchants que ça, ce sont juste deux jeunes très indépendants qui se suffisent à eux-mêmes. Ils ne font rien de mal... Jusqu'au jour où ils sont accusés du meurtre sauvage de la soeur cadette de Toni. Le problème c'est qu'ils ne sont pas coupables ! 

Pauvres Toni et Ryan: ils sont accusés de meurtre et rejetés par leurs parents et amis, ils vont en prison pendant seize ans alors qu'ils sont innocents, ils sortent de prison, un nouveau meurtre est commis, et tiens, comme par hasard, nos deux mal partis sont suspectés, et doivent retourner en prison, à nouveau. Quelle injustice ! Il y a décidément des gens qui sont nés sous une mauvaise étoile, sur qui le sort s'acharne inlassablement. La seule possibilité de retrouver un semblant de vie normale est de prouver leur innocence, et de découvrir la vérité sur le meurtre de la soeur de Toni. Une vérité qui s'avérera bien sordide. 

J'ai rarement lu un thriller aussi stressant. Chevy Stevens maintient une tension psychologique extrême tout au long de son roman. Clairement, Après la nuit hisse cette auteure canadienne au rang des plus grandes reines du crime actuelles. C'est son thriller le plus abouti, le plus ambitieux. Tous les ingrédients du page turner, impossible à poser avant la fin, sont réunis: des personnages forts, des dialogues enlevés, une intrigue palpitante, une atmosphère oppressante. Plus on avance dans le récit, et plus on se demande comment Toni et Ryan vont s'en sortir. Les passages du livre quand Toni est en prison sont éprouvants pour les nerfs. Au final, un grand thriller psychologique, qui privilégie le suspense et la dureté des rapports humains à l'intrigue criminelle. Du grand art ! Mais mauvais pour le palpitant croyez-moi !

Chevy Stevens, Après la nuit, Pocket, 464 pages, traduit de l'anglais (Canada) par Sebastian Danchin, sorti en 2014 (Canada) 2015 (France)

Je vous conseille aussi: