mardi 29 septembre 2015

Le point limite, de John Wessel


J'ai vraiment un faible pour les polars d'atmosphère américains des années 80 et 90, et Le point limite, sorti en 1996 aux Etats-Unis, ne fait pas exception à la règle. Ici, on est bien loin des productions calibrées. Le maître mot c'est Atmosphère avec un grand A. Le point limite se situe à mi-chemin du roman noir et du whodunit. Une ambiance glaciale (apparemment les hivers sont très très  froids à Chicago), une intrigue très noire et très complexe, et des personnages ambigus et mystérieux à souhait. Donc, oui on est loin du thriller formaté, commercial.

Sur le fond, Le point limite est une plongée dans le puits sans fin des passions humaines, une histoire franchement glauque de meurtres et de chantages sur fond de pratiques sexuelles extrêmes, avec comme décor Chicago. 

La description de la troisième plus grande ville des Etats-Unis est crépusculaire, noire comme le cauchemar. En outre, Wessel introduit ce qui sera "son" personnage fétiche, le privé sans licence Harding, secondé par sa muse gothique Alison. Deux écorchés vifs qui vont traquer des ombres au péril de leur vie. 

Sur la forme, mention spéciale à Jean Esch, le traducteur, qui a su parfaitement retranscrire le style d'écriture de l'auteur. Un style fluide, détaillé, et truffé de références culturelles très "américaines". Je vous conseille de lire ce roman, si possible, d'une traite, ou en tout cas de ne pas trop vous interrompre entre chaque lecture, car l'intrigue est très touffue, avec des personnages qui se rajoutent tout au long du récit. Et si vous parvenez à débrouiller le shmilblick, chapeau ! Car l'auteur a fait preuve d'une sacrée imagination, aucun doute là-dessus ! Au final, Le point limite n'aura pas marqué l'histoire du roman policier, loin s'en faut. Je le conseille aux amateurs de romans noirs urbains "à l'américaine". 

John Wessel, Le point limite, Rivages, 448 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, sorti en 1996 (Etats-Unis) 1999 (France)

lundi 21 septembre 2015

Quelque part avant l'enfer, de Niko Tackian


Franck Thilliez ne s'est pas trompé en faisant la préface du premier thriller de Niko Tackian. Une préface enthousiaste à laquelle j'adhère totalement après avoir dévoré d'une traite ce thriller captivant et totalement abouti. Toute comme Franck Thilliez, j'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce thriller qui traite le thème des fameuses EMI (expériences de mort imminente). Et L'auteur sait raconter une histoire  et tenir en haleine son lecteur, aucun doute là-dessus. C'est très très prometteur pour la suite, il y a du potentiel. Le talent est là.

Sur le fond, ce premier roman raconte l'histoire d'Anna Renucci, jeune mère de famille qui se retrouve dans le coma suite à un grave accident de voiture. Anna va vivre une expérience de mort imminente. En général, ces EMI se passent très bien, les "expérienceurs" ressentent une impression d'apaisement, de sénénité, et n'ont plus peur de la mort. Malheureusement ce n'est pas le cas d'Anna, qui va vivre une expérience noire. Dans son "rêve", la jeune femme déjà très fragile va croiser la route d'un tueur en série de prostituées. Et parfois, du rêve à la réalité, il n'y a qu'un pas... Car ce tueur est bien réel !

Sur la forme, ce thriller saignant se compose de chapitres courts qui ne laissent aucun répit au lecteur. Le style d'écriture simple et alerte sert un récit fluide et bien construit. Le roman est assez court, il n'y a pas de longueurs, pas de gras. Le suspense est habilement dosé, et l'identité du coupable connue dans les toutes dernière pages du livre. Tout est subtilement et efficacement contrôlé. L'essai est donc transformé pour Niko Tackian, dont le premier thriller est vraiment prometteur. Je le recommande sans réserve.

Niko Tackian, Quelque part avant l'enfer, Scrineo, 320 pages, sorti en 2015.

Du même auteur sur ce blog:
La nuit n'est jamais complète ; Toxique ; Fantazmë ; Avalanche Hôtel

Je vous conseille aussi:
Rêver, Franck Thilliez
Il ne faut pas parler dans l'ascenseur, Martin Michaud 

mercredi 16 septembre 2015

Les tricheurs, de Jonathan Kellerman


"Les romans de Kellerman ont un côté addictif. Une fois qu'on a commencé de les lire, plus moyen de s'arrêter." Dixit le Orlando Sentinel. Je partage entièrement son avis. Je suis totalement addictif aux whodunits de cet auteur, qui maîtrise totalement son art, et tisse depuis maintenant 30 ans des intrigues psychologiques captivantes. Un auteur qui écrit comme il respire !

Les tricheurs est la 25ème enquête du duo mythique Alex Delaware/Milo Sturgis. L'action se situe comme toujours à Los Angeles, LA ville de l'auteur. Le psychologue Alex Delaware et son inséparable acolyte l'inspecteur Milo Sturgis sont toujours aussi attachants, et pleins d'humour. Et il leur en faudra beaucoup pour ne pas perdre pied dans cette enquête éprouvante. Elise Freeman, enseignante dans un lycée privé ultra-select, est retrouvée morte dans sa baignoire...remplie de neige carbonique. Meurtre maquillé en suicide? La jeune femme s'était plainte de sévices sexuels infligés par plusieurs de ses collègues. Milo et Alex vont devoir décortiquer la vie de cette femme pour découvrir la vérité sur sa mort. Et plonger dans les méandres tortueuses de la psychologie humaine.

Encore une fois, Kellerman brouille les pistes à merveille, tout est subtilement et efficacement contrôlé du début à la fin. Style d'écriture à la fois simple et sophistiqué, sens des dialogues, atmosphère de mystère omniprésente, finesse psychologique. Avec Les tricheurs, je trouve même que son écriture a gagné en fluidité, il y a moins de gras ou de longueurs qu'avant, et le suspense est savamment dosé. 

Alors certes, ce n'est pas de la grande littérature, ce n'est pas original, les enquêtes d'Alex Delaware sont toujours conduites de la même manière, c'est calibré, bref c'est toujours la même recette. Mais c'est une recette qui marche. D'ailleurs Kellerman est une vraie star dans son pays, il est régulièrement en tête des ventes. C'est donc du polar sympa, distrayant, balisé, bien écrit, à emporter sur la plage. Dans la même série, je recommande vivement Chair et sangHabillé pour tuer, et Comédies en tout genre. 

Jonathan Kellerman, Les tricheurs, Points, 408 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Frédéric Grellier, sorti en 2010 (Etats-Unis) 2013 (France)

Je vous conseille aussi:

lundi 14 septembre 2015

Triste flic, d'Hugo Hamilton


J'ai vraiment beaucoup  rigolé à la lecture de ce polar atypique, décalé, et surtout pétri d'humanité. Un roman doux dingue à l'image de son personnage central, le féroce Pat Coyne: un flic alcoolique en arrêt maladie à durée indéterminée, qui traîne son mal de vivre dans les pubs du port de Dublin. Qui regrette d'avoir quitté Carmel, la femme de sa vie, et la mère de ses trois enfants. Et qui se retrouve embarqué dans une histoire glauque de trafic de clandestins pour sauver la peau de son bon à rien de fils Jimmy. 

Il faut dire que le pauvre gamin n'est pas franchement aidé question figure paternelle. Pat Coyne est un paradoxe ambulant, un irlandais à la fois révolté et résigné, un doux dingue totalement en décalage avec son époque.

Triste flic est un mélange détonnant de roman noir et de polar décalé. Pour moi, l'humour l'emporte largement sur la noirceur. Même si l'auteur se montre cynique, féroce, et dresse un portrait à la fois attachant et peu flatteur de son Irlande. Sans pour autant tomber dans le pompeux ou le caricatural. Le ton est toujours juste, et l'écriture imagée et pleine de vitalité. Certaines phrases sont cultes. Et certains passages du livre sont vraiment philosophiques, démontrant une réelle acuité de l'auteur dans le regard qu'il porte sur ses semblables. 


Au final, Triste flic est un polar original, tordu, qui sort des sentiers battus. Avec des scènes franchement poilantes. Pat Coyne n'est pas si triste que ça, il est humain tout simplement, c'est ce qui le rend d'autant plus attachant ! 

Hugo Hamilton, Triste flic, Points, 256 pages, traduit de l'anglais (Irlande) par Katia Holmes, sorti en 1998 (Irlande) 2008 (France)

lundi 7 septembre 2015

Au fil du rasoir, de Karin Slaughter


L'Amérique a toujours été prolifique en reines du crime: Patricia Cornwell, Patricia Highsmith, Mary Higgins Clark et plus récemment Lisa Gardner, Lisa Unger, Gillian Flynn et... Karin Slaughter. D'ailleurs, ces deux dernières se ressemblent beaucoup dans leur style d'écriture et surtout dans la grande noirceur de leurs intrigues. Oui on peut le dire, Gillian Flynn et Karin Slaughter ne font pas dans la dentelle, leurs romans sont très noirs, âmes sensibles s'abstenir. Karin Slaughter fait partie de ces auteurs qui vous obligent à regarder bien en face, bien en profondeur, l'intolérable, l'indicible, ce pan obscur, sordide de la réalité. 

Ce que Karin Slaughter raconte dans ce thriller est très dur, mais malheureusement cela existe. Un soir, à la sortie de la patinoire du coin, Jeffrey Tolliver, le chef de la police de la petite ville de Grant County, est contraint d'abattre la jeune Jenny Weaver. Celle-ci pointait un pistolet en direction de son supposé petit ami Mark Patterson et menaçait de le tuer. En apparence, une banale histoire de coeur, mais l'arbre cache une forêt pleine de monstres. Pour le pauvre Jeffrey, c'est le début d'une enquête éprouvante, et d'une descente aux enfers sans retour. 

Deuxième opus de la série "Grant County", ville imaginaire située dans l'Upper South américain, Au fil du rasoir confirme l'originalité et le talent de Karin Slaughter. Intrigue très noire et complexe, écriture taillée au couteau, dialogues acérés, parfois choquants. Personnages fouillés, souvent des écorchés vifs marqués par la vie. Et surtout Karin Slaughter retranscrit parfaitement l'atmosphère sombre et viciée qui peut ressortir dans une petite ville américaine, quand des événements anormaux surviennent.

Karin Slaughter, Au fil du rasoir, Le Livre de Poche, 448 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Paul Thoreau, sorti en 2002 (Etats-Unis) 2004 (France)

jeudi 3 septembre 2015

L'espion qui venait du froid, de John le Carré


Le monde de l'espionnage est cruel, impitoyable, laid, ce n'est pas James Bond qui vit des aventures exotiques, entouré des plus belles femmes de la planète. John Le Carré le sait bien en sa qualité d'ancien membre du Foreign Office. D'ailleurs, il n'a jamais voulu parler de cette période de son existence. 

L'espion qui venait du froid raconte l'histoire de Leamas, agent secret britannique. Dans les années 60 la guerre froide fait rage, le monde est divisé en deux, Berlin est divisée en deux. Le réseau d'agents et d'indics mis en place par Leamas dans cette ville sombre et crépusculaire est systématiquement démantelé par Mundt, l'impitoyable chef de l'espionnage est-allemand. 


Leamas, espion déchu, est rapatrié à Londres, et ne pense qu'à se venger de Mundt. Londres lui offre une chance de se racheter et l'intègre dans une machination destinée à éliminer Mundt. Mais la réalité sera bien différente !

Côté roman d'espionnage, si vous ne deviez en lire qu'un, c'est L'espion qui venait du froid, le chef d'oeuvre absolu en la matière. Un roman totalement maîtrisé, abouti, un récit court, sans gras, sans fioritures, qui va à l'essentiel. Une histoire d'amour et de haine, une machination diabolique, implacable. Force de l'intrigue, crédibilité des personnages, John Le Carré réussit à mélanger le romanesque avec la réalité de l'époque. Une époque trouble, un monde de méfiance et de trahison. Ce roman se dévore d'une traite, et la fin est bouleversante. Un classique incontournable.

John le Carré, L'espion qui venait du froid, Folio, 352 pages, traduit de l'anglais par Marcel Duhamel et Henri Robillot, sorti en 1963 (Royaume-Uni) 1964 (France) 

Du même auteur sur ce blog:

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mardi 1 septembre 2015

Suspect, de Robert Crais


Le syndrome de stress post-traumatique existe chez l'Homme mais également chez le chien. L'officier Scott James et la chienne de race Berger allemand Maggie ont un point en commun: la disparition tragique de leur binôme. La coéquipière de Scott a été abattue lors d'une étrange fusillade dans les bas-fonds de Los Angeles et le Maître-chien de Maggie s'est fait littéralement exploser par un kamikaze en Afghanistan. Deux écorchés vifs qui vont se soutenir mutuellement pour former une équipe de choc. Et donc un thriller choc comme on les aime !

Après les catastrophiques Règle numéro un, La Sentinelle de l'ombre, et Coyotes, je pensais que Robert Crais avait définitivement perdu "le fluide", ce talent pour raconter de passionnantes histoires criminelles. On parle quand même du créateur d'Elvis Cole, le détective le plus cool de la planète, et de l'auteur de chefs d'oeuvre tels que Le Dernier détective, L.A. Requiem, ou encore Deux minutes chrono. Heureusement, il m'a totalement rassuré avec Suspect, un excellent thriller psychologique. Robert Crais revient donc enfin aux affaires avec une intrigue rondement menée, parfaitement ficelée, pleine de rebondissements. 

Le roman se compose de deux parties bien distinctes: une première partie plus psychologique, qui décrit la reconstruction psychique de ces deux êtres traumatisés, et la naissance de leur complicité. On apprend d'ailleurs des choses intéressantes sur le fonctionnement du chien. Et une deuxième partie consacrée à la traque des assassins de la coéquipière de Scott, une enquête haletante, pleine de suspense. On retrouve donc le Robert Crais des grandes heures. Pourvu que ça dure !

Robert Crais, Suspect, Pocket, 410 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne-Sylvie Homassel, sorti en 2013 (Etats-Unis) 2014 (France)

Du même auteur sur ce blog:

Le Dernier détective

Je vous conseille aussi:
Kind of Blue, Miles Corwin
Dans la ville en feu, Michael Connelly

Génération Armageddon, de Roger Simon


"J'étais redevenu le bon vieux Moses Wine - l'homme moderne, athée, hédoniste, ambivalent et fier de l'être, celui qui batifolait sur le chemin de la vie, sans s'arrêter jamais pour se poser trop de questions d'ordre cosmique". Cette phrase décrit bien la personnalité de ce sympathique détective privé tout droit sorti de l'imagination débordante de Roger L. Simon, qui l'a mis en scène dans huit enquêtes remplies d'humour caustique. On est clairement dans le bon vieux polar d'atmosphère, comme je les aime. 

Génération Armageddon est l'un des sommets de la série: à la fin des années 80, Moses Wine est embauché par l'Amicale arabo-américaine pour retrouver l'assassin d'un éminent leader de la cause palestinienne. 

Une enquête à haut risque qui va le conduire sur les traces d'un jeune illuminé dans les rues mythiques de Jérusalem. Le privé va devoir garder les pieds sur terre s'il ne veut pas perdre la vie, et la foi... en lui-même ! 

Sur le fond, Génération Armageddon repose sur une intrigue complexe, et des personnages ambigus à souhait; Un mélange de polar d'enquête et de roman d'espionnage, sorte d'OSS 117 nid d'espions mais... à Jérusalem. L'atmosphère trouble, "mystique" de cette ville est magnifiquement retranscrite par l'auteur. 

Sur la forme, si vous aimez les polars de Kinky Friedman, vous aimerez ceux de Roger L. Simon: le même humour cynique, le même regard désabusé sur le monde, une critique acerbe du matérialisme américain, un style d'écriture imagé. Roger L. Simon parvient à l'instar du Kinkster à imprimer une atmosphère très marquée à ses polars. Génération Armageddon est donc un polar dépaysant et intelligent. Et parfois carrément philosophique, dans le bon sens du terme. 

Roger Simon, Génération Armageddon, Rivages, 320 pages, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Frank Reichert, sorti en 1988 (Etats-Unis) 1994 (France)